Le moins que l’on puisse dire, c’est que le projet de Microsoft de supprimer d’ici au 1er juillet 2020 les licences gratuites (soit en jargon Microsoft : droits d’utilisation internes ou IUR) dont jouissent les partenaires fait l’unanimité contre lui. Annoncé en catimini et peu argumenté, il a immédiatement suscité incrédulité, incompréhension, voire colère des partenaires français. Car, chacun le pressent, cette mesure aura un impact important sur le business des partenaires et toute la physionomie du réseau Microsoft pourrait s’en trouver bouleversée.

En effet, si Microsoft met fin aux IUR, les revendeurs vont devoir payer comme des clients lambdas pour les licences qu’ils utilisent – voire « payer pour tester les solutions qu’ils proposent », résume de façon lapidaire un partenaire. Or le coût de ces licences peut vite se chiffrer en dizaines de milliers d’euros, comme en témoigne ce partenaire développeur d’applications employant 80 personnes qui a perdu pendant trois mois son statut gold et qui a dû racheter toutes ses licences internes en attendant d’être à nouveau certifié.

« Microsoft devient le champion du changement de la règle au milieu du jeu »

Du coup, beaucoup risquent de ne pas suivre et feront en sorte de raboter le nombre de licences utilisés en interne. C’est en tout cas le discours ce cet important partenaire Microsoft du Sud-Ouest de la France qui prévient que si la fin de la gratuité des licences est avérée, il rétrograderait les licences de ses collaborateurs voire il envisagerait des solutions alternatives alors qu’il provisionnait jusqu’à présent les licences les plus complètes à ses forces commerciales et techniques afin qu’elles utilisent les fonctionnalités avancées et en fassent la promotion auprès des clients. « Il s’agit d’un nouveau signal négatif envoyé aux partenaires. Microsoft devient le champion du changement de la règle au milieu du jeu. D’autres annonces concernant la rémunération d’Azure et qui vont être annoncées à Inspire nous interrogent sur les arrière-pensées de Microsoft à moyen terme. »

Même discours de la part du PDG d’un gros intégrateur d’infrastructures français : « Cette décision est incompréhensible pour nous, s’étrangle-t-il. Nous dépensons des sommes faramineuses pour la formation et la certification de nos consultants, pour les redevances des compétences gold, pour envoyer des représentant à leur conférence partenaire Inspire… Si Microsoft persiste avec cette décision, nous pourrions tout simplement réduire fortement la voilure dans notre partenariat et transférer les économies réalisées sur les licences dont nous avons besoin. Cela impacterait aussi les produits que nous vendons, notamment quand des équivalents existent chez VMware, qui continue lui à nous apporter un ensemble de licences NFR ».

« Plus de 50% des partenaires actuels vont passer aux oubliettes »

Pour un certain nombre de nos interlocuteurs, Microsoft est tout à fait conscient des conséquences qu’aura son initiative. Et il les assume parfaitement.

« Lorsque nous avons perdu notre statut gold, en raison de la suppression de notre compétence historique trois mois avant son renouvellement, nous avons essayé de négocier avec Microsoft pour garder nos avantages le temps de re-certifier quatre personnes sur une autre compétence, raconte le dirigeant du développeur d’applications cité plus haut. Mais notre interlocuteur nous a répondu en « off » qu’on était des dizaines à appeler chaque jour, que Microsoft était au courant du problème et de son impact, mais qu’il ne voulait pas le résoudre afin de se débarrasser d’un maximum de partenaires jugés « non-rentables ». Pour lui, la fin de la gratuité des licences partenaires est donc une étape de plus dans la volonté de Microsoft de se débarrasser de ses petits et moyens partenaires.

Une thèse que reprend à son compte le PDG d’un gros VAR rhône-alpin qui s’est retrouvé récemment sans interlocuteur dédié chez Microsoft malgré plus de 500 K€ HT d’achats annuels. « Plus de 50% des partenaires actuels ne seront plus certifiés et reconnus à terme et passeront aux oubliettes, estime-t-il. Seuls subsiteront les volumistes (tels Insight, SCC, Crayon, Betchle…), les experts services (tels Projetlys, Exakis…), ainsi que les partenaires qui investiront sur une stratégie identique à celle de Microsoft ». Et de conclure : « Microsoft devient pour nous une carte à distribuer de manière « opportuniste ». Nous ne concevrons aucune stratégie autour de cet acteur. »

Microsoft proposera-t-il des compensations ?

Le directeur régional d’un partenaire affichant pas moins de onze compétences Microsoft gold estime toutefois qu’il est encore un peu tôt pour tirer des conclusions sur les tenants et aboutissants de ce projet. Il note que Microsoft n’a pas encore communiqué officiellement sur le détail des changements annoncés ni sur ses motivations*. Il veut croire que l’éditeur proposera des compensations sous d’autres formats ou sous forme d’autres programmes d’accompagnement à la fin des IUR, dont il rappelle que c’était l’un des fers de lance de son programme partenaires. Enfin, il ne croit pas que cette mesure sera de nature à pousser les partenaires vers des solutions concurrentes.

Un point sur lequel le rejoint le partenaire développeur d’applications : « On râle, mais on ne pourra rien faire car Microsoft a tous les atouts en main. C’est lui qui écrit les règles, les change quand ça l’arrange et nomme les arbitres ».

*Par la voix de Gavriella Schuster, sa directrice channel, Microsoft en a dit plus aujourd’hui sur ses motivations à l’occasion d’une conférence de presse. L’éditeur a ainsi expliqué que l’instauration des droits d’utilisation internes remonte à une époque où les licences logicielles ne coûtaient quasiment rien à mettre en œuvre. Mais, avec l’avènement du Cloud, leur coût a considérablement augmenté. « Un coût que Microsoft ne peut plus se permettre aujourd’hui », a fait valoir Gavriella Schuster.