Le groupe Altares a publié son rapport sur les défaillances d’entreprises en France au premier trimestre. Son directeur des études Thierry Million décrypte pour Channelnews l’évolution de la situation dans le secteur IT.
Channelnews : Comment analysez-vous sur l’évolution des défaillances IT au 1er trimestre ?
Thierry Million : Dans l’IT comme dans l’ensemble de l’économie, on reste sur un plateau assez élevé. Le volume sur 12 mois glissés fin mars a progressé de 15% dans l’IT contre 12% pour l’ensemble des secteurs. Ces 3% en plus ne sont pas négligeables mais ne reflètent pas non plus la situation d’un secteur en grande tension. Depuis 6 mois le nombre de défaillances IT se stabilise entre 600 et 650 par trimestre. La bonne nouvelle est que ça ne monte plus. On peut espérer l’amorce d’une amélioration en 2025, au moins sur le plan des défauts.
Channelnews : Grâce au soutien de l’État pendant la période Covid, les défaillances avaient atteint un point bas en 2021. Comment expliquer leur remontée continue depuis ?
Thierry Million : Elles avaient même atteint un point bas historique de plus de 30 ans, donc forcément ça devait remonter. De plus, l’incertitude de la période post Covid s’est poursuivie avec la guerre en Ukraine, la crise du logement et l’inflation forte rognant le pouvoir d’achat. Dès 2022-2023, cela a mis en difficulté les structures à destination du consommateur. Une stabilisation s’est opérée au printemps 2024 pour les activités BtoC mais à l’inverse s’est malheureusement accélérée dans le BtoB. Les fabricants d’équipements et grossistes ont été rattrapés par la crise. La situation perdure avec des services aux entreprises qui sont toujours à la peine (+8%), particulièrement les services informatiques (+24%).
Channelnews : Le remboursement de la dette sociale et des prêts garantis par l’État ont-ils aggravé les défaillances ?
Thierry Million : Sur le remboursement de la dette sociale, la situation est bien meilleure qu’en 2023, qui a été la période la plus tendue. Une grande partie des entreprises arrivaient à la fin du moratoire pour régler les cotisations suspendues pendant la crise sanitaire. Il y a eu alors beaucoup d’assignations de l’Urssaf et plus de faillites mais le niveau de recouvrement forcé est désormais inférieur à celui d’avant Covid. Cette dette-là est honorée et dernière nous. Dans le cas contraire, le nombre de défaillances aurait été considérablement plus élevé.
Sur les PGE, sur 145 Md€ prêtés, plus des trois quarts ont été remboursés. La proportion des TPE qui ont des difficultés de remboursement évolue autour de 5%, un niveau un peu plus élevé que les 3% anticipés initialement mais qui, à l’inverse, est plus bas pour les PME, ETI et grandes entreprises. La vigilance est de mise pour les entreprises qui n’ont pas fini de rembourser. Mais dans l’ensemble le dossier devrait se solder positivement sans qu’on constate un dérapage des défauts.
Channelnews : Quelles sont les difficultés concrètes qui expliquent malgré tout ce plateau élevé de défaillances IT ?
Thierry Million : Avec l’incertitude et les tensions, une fiscalité plus lourde aussi liée à la réduction de l’endettement, les entreprises se retrouvent de plus en plus confrontées à des clients qui arbitrent défavorablement leurs dépenses d’investissement. Ces clients ont toujours des problématiques très claires en matière de digitalisation, de data, de cybersécurité ou encore de passage à la facturation électronique mais décalent leurs projets pour se concentrer sur ce qui essentiel à leur business. Cela affecte de plein fouet les acteurs des services, en particulier du conseil, confrontés à un retrait de commandes tout à fait sensible. Je pense malgré tout qu’il y aura un rattrapage assez fort en 2026 sur la mise en œuvre de toutes ces problématiques
Channelnews : Les petites entreprises semblent particulièrement fragiles dans cet environnement.
Thierry Million : Les microentreprises de moins de 3 salariés constituent plus de deux tiers des défauts. Rien que sur la question des délais de paiement, qui ont grimpé à un niveau très élevé de 14 jours, elles n’ont pas la surface financière pour tenir le choc si la trésorerie fait défaut. Les entreprises de 6 à 20 salariés sont dans un entre deux, trop grandes pour être agiles dans la gestion des flux financiers et trop petites pour faire face à la concurrence dans un cadre plus exigeant, notamment sur les questions de RSE. Celles qui n’ont pas fait un effort suffisant ne peuvent plus prétendre aux marchés pour lesquels les donneurs d’ordre l’imposent. En cas de coup dur, elles n’ont pas non plus la flexibilité et les moyens des grandes entreprises pour ajuster leur masse salariale.
Channelnews : La guerre commerciale et les tarifs douaniers changent à nouveau la donne. Craignez-vous une nouvelle vague de défaillances ?
Thierry Million : Certaines entreprises peuvent avoir le sentiment de ne pas être concernées parce qu’elles n’exportent pas ou n’ont pas de clients aux Etats-Unis. Il faut rester vigilant car leurs propres clients peuvent être impactés. Il y a un risque réel d’effet ciseau avec une hausse des prix et une baisse des commandes. En ajoutant le problème des délais de paiement, les entreprises risquent de manquer cruellement de trésorerie pour faire face aux contraintes liées à la hausse des taxes douanières. Elles devront redoubler d’efforts sur cette question pour tenir et sécuriser leur croissance.