Pour Charles-Antoine Beyney, président de l’opérateur de solutions BSO Network Solutions, on est encore loin de pouvoir mettre en œuvre des services cloud conformes à la vision des grands fournisseurs d’infrastructures.


Channelnews : Vous êtes très critique vis-à-vis du cloud tel que nous le vantent les grands fournisseurs IT. Selon vous ce cloud que l’on veut nous vendre n’existe pas.


Charles-Antoine Beyney : En effet, il faut arrêter de présenter comme une révolution ce qui n’en est pas une. À écouter les Microsoft, Oracle, IBM et consorts, il suffirait de souscrire à leurs offres de services clé en main ou de s’équiper de leurs infrastructures cloud pour accéder en toutes circonstances à l’intégralité de son système d’information à partir d’un simple terminal de type tablette. En réalité, on est encore loin de cette vision. Il reste encore beaucoup de R&D à produire, d’infrastructures à revoir et de réseaux à mettre à niveau avant d’y arriver.

Quels sont les principaux écueils à l’avènement du cloud selon vous ?


Charles-Antoine Beyney : J’en vois trois. Le premier concerne la protection des données. Le cloud permet en théorie une synchronisation en temps réel des données à l’échelle planétaire de façon à ne pas perdre de données si le datacenter qui les abrite tombe. En pratique, synchroniser deux datacenters en temps réel suppose une latence inférieure à 5 ms, ce qui implique qu’ils soient reliés en fibre optique et qu’ils se trouvent à moins de 100 km l’un de l’autre. À ce compte, on se heurte rapidement à une limitation géographique. De fait, l’épisode de la panne du datacenter d’Amazon à Dublin, lequel a fini par reconnaître qu’il avait perdu 10 à 20% des données qu’il hébergeait, montre qu’on reste dans le meilleur des cas plus proche d’un format traditionnel d’hébergement de masse que d’un modèle cloud.

Le deuxième écueil concerne la virtualisation des infrastructures réseaux et sécurité. Autant, on commence à bien savoir virtualiser les serveurs et le stockage, autant on a encore du mal à virtualiser à grande échelle tout ce qui est firewalls, répartiteurs de charges, et autres équipements de sécurité. Du coup, on reste toujours à la merci d’une panne hardware ce qui implique de mobiliser d’importantes ressources d’administration.

Le troisième écueil concerne l’acheminement des données. La bande passante des réseaux me paraît encore largement insuffisante pour permettre d’y faire transiter toute l’information nécessaire . Les flux vidéo nécessitent par exemple 30 Mbps seconde. Un débit que seule la fibre optique peut supporter. Et ne parlons pas des réseaux 3G, qui rendent impossible d’accéder à la plupart des applications en situation de mobilité.

Pensez-vous tout de même que ce modèle cloud théorique puisse un jour exister ?


Charles-Antoine Beyney : Oui, on s’en approchera d’ici cinq ou six ans lorsque la fibre optique se sera largement diffusée dans les grandes villes et que les laboratoires auront progressé dans la virtualisation massive des équipements de réseaux et de sécurité. Enfin, les fournisseurs de services, pierre angulaire de la révolution cloud, auront également gagné en maturité et appris à mieux gérer l’extraordinaire complexité du cloud.

Pourquoi insistez-vous sur cette complexité ? Le cloud ne tend-il pas à favoriser l’interopérabilité voire la convergence entre les grands fournisseurs de technologies cloud ?


Charles-Antoine Beyney : Ces grands fournisseurs font tout pour simplifier le discours et accréditer l’idée qu’à terme ils fourniront l’intégralité du système d’information de leurs clients via un centre de support unique. Mais le cloud restera quoi qu’il advienne un empilement de technologies et d’applications hétérogènes car c’est la seule façon de garantir la multiplicité des usages. Le cloud est simple à vendre mais complexe à mettre en œuvre.

Vous avez l’air de penser que ce sont les sociétés de services plus que fournisseurs de technologies cloud qui sont les mieux placés pour fournir ces services cloud ?


Charles-Antoine Beyney : En effet. Je pense que seules des sociétés de services couvrant toute la chaîne de valeur, capables d’héberger les données des clients mais aussi de leur apporter la connexion Internet, de réaliser des intégrations complexes et de s’occuper de leurs applications, seront en mesure de satisfaire la demande. Je ne pense pas que les offreurs d’infrastructures cloud pourront jouer ce rôle à moins de transformer complètement leur modèle. À ma connaissance, le seul à pouvoir prétendre le faire est IBM. Et encore leur manque-t-il la partie opérateur (sans compter qu’ils ne sont de moins en moins propriétaires de leurs datacenters).

Au final trouvez-vous des vertus au modèle cloud tel qu’il nous est présenté ?


Charles-Antoine Beyney : Oui, c’est un formidable outil marketing pour faire comprendre les activités de services aux clients. Nous avons d’ailleurs décidé d’arrêter de nous présenter comme un hébergeur à forte valeur ajoutée pour nous positionner comme un fournisseur de services cloud. Nous n’avons plus besoin d’expliquer les notions sous-jacentes de notre métier (fourniture d’accès Internet, intégration…) : les clients posent beaucoup moins de questions et se concentrent sur la relation contractuelle.