Antoine Fournier, directeur général de Kosc Telecom, a accepté de répondre aux questions de Channelnews à propos de la crise que traverse l’opérateur suite à la décision de l’Autorité de la Concurrence rendue dans le cadre du conflit qui l’oppose à Altice/SFR.

Channelnews : Le refus surprise de la Banque des Territoires de souscrire à une nouvelle augmentation de capital de 10 M€ a plongé semble-t-il Kosc Telecom dans la crise. Les Echos évoquent un besoin urgent de cash et révèlent même que la banque Rotschild a été mandatée pour trouver de nouveaux investisseurs, voire un repreneur. La continuité d’exploitation de Kosc Telecom est-elle menacée ?

Antoine Fournier : pas du tout. Nos actionnaires privés et la BPI se sont engagés juridiquement à apporter 2,5 M€ dans le montage qui devait associer la Banque des Territoires. Ces actionnaires n’ont pas l’intention d’abandonner l’entreprise et sont mobilisés au plan opérationnel pour assurer la continuité d’exploitation. J’ajouterais que, depuis que ces informations ont été diffusées dans la presse, Kosc Telecom est très courtisé.

Channelnews : Mais alors pourquoi cet affolement général ?

Antoine Fournier : Cette augmentation de capital avortée oblige les actionnaires à rediscuter entre eux pour trouver rapidement une solution. Dans ce contexte, la crainte du marché c’est que Kosc soit l’objet d’une opération hostile et que son activité wholesale ne reste pas neutre.

Channelnews : En quoi cette « neutralité » est importante ?

Antoine Fournier : L’enjeu c’est l’accès de l’écosystème de services numériques au réseau fibre. Sans fibre, cet écosystème ne peut pas fonctionner correctement. Kosc Telecom lui amène cette brique fibre de manière ouverte. Mais pour fournir ce service, Kosc dépend comme tous les opérateurs alternatifs des réseaux de fibres noires reliant entre eux les centraux d’Orange répartis sur le territoire. Or SFR est le seul avec Orange à disposer d’un réseau fibre noire déployé à l’échelle nationale. S’il n’y a plus de régulation sur ces fibres noires, alors on sera en situation de duopole avec tous les inconvénients que cela implique pour les clients finaux.

Pour avoir vécu le « dégroupage » du réseau cuivre il y a 20 ans, il a fallu une volonté forte du régulateur et un suivi étroit pendant au moins cinq ans avant que la concurrence ne devienne effective et pérenne.

Channelnews : Le revirement de la Banque des Territoires quant à l’augmentation de capital Kosc s’expliquerait par la décision de l’Autorité de la Concurrence (ADLC) de dédouaner Altice/SFR de tout manquement à ses engagements vis-à-vis de Kosc Telecom. Vous avez annoncé hier que Kosc récusait cette décision et saisissait le Conseil d’État. Que reprochez-vous exactement l’ADLC ?

Antoine Fournier : Dans sa décision, l’Autorité estime qu’aucun élément ne permet de caractériser le non-respect par Altice France de ses engagements relatifs à la cession du réseau DSL de Completel. Le plan d’entreprise agréé par l’ADLC en décembre 2015 prévoyait pourtant que le transfert du réseau Completel soit achevé au 31 mars 2017 pour permettre à Kosc de démarrer immédiatement ses activités. Or Kosc n’a été en mesure de livrer ses premières lignes FTTH qu’à l’automne 2018 avec un an et demi de retard. Pourquoi ? Parce que les quelque 700 fibres constitutives du réseau DSL de Completel, celles qui permettent de relier les centraux d’Orange pour ramener le trafic vers Paris, avaient été vidées et coupées avant de nous être transférées. Il a fallu que l’on se déplace en moyenne six fois pour rétablir chaque fibre. L’ADLC se défausse en estimant que l’appréciation du respect des engagements ne portait pas sur le déploiement d’un réseau en fibre optique. Mais nous pensons que le réseau DSL de Completel devait nous être livré en état de fonctionnement puisque Completel l’exploitait jusqu’à son transfert. Or il ne pouvait pas fonctionner sans réseau fibre.

Channelnews : Quelles ont été les conséquences pour Kosc ?

Antoine Fournier : Pendant dix-huit mois, Kosc a supporté coûts de ce réseau sans pouvoir générer les revenus. Cela nous a conduit à consommer prématurément les fonds destinés à nous conduire jusqu’à l’équilibre d’exploitation, prévu initialement en 2019-2020. Les 20 M€ supplémentaires levés en 2018 pour financer, dans le cadre d’un partenariat avec Orange, l’achat de fibres entre les centraux d’Orange et les abonnés, nous a permis de financer l’activité un an de plus. Mais nous devons encore trouver les fonds nécessaires pour faire la soudure jusqu’au seuil de rentabilité, prévu désormais autour de 2021.

Channelnews : Qu’en est-il des 15 M€ que vous devez encore à Altice/SFR en paiement du réseau DSL de Completel ? Pensez-vous que la décision de l’ADLC va conduire le tribunal de commerce à statuer en votre défaveur sur ce point dans la procédure que vous a intentée Altice/SFR ?

Antoine Fournier : L’ADLC jugeait si Altice/SFR avait respecté ses engagements dans le cadre de la  cession du réseau DSL de Completel. Sa décision ne préjuge en rien de l’issue de la procédure au tribunal de commerce entamée par SFR qui porte sur le réseau de fibres. Un périmètre que l’ADLC a déclaré avoir écarté de sa décision, alors même qu’elle est censée réguler la fibre noire de SFR depuis 2014. Une expertise est en cours et l’affaire devrait être jugée d’ici 18 à 24 mois. Nous sommes confiants dans le fait que les conclusions de cette expertise nous soient finalement favorables.