Dans un entretien avec LeMagIT, le patron des activités de services aux entreprises d’Orange fait le point sur la transformation en cours de l’entité née de la fusion d’Equant, Global One et de multiples SSII.

 

LeMagIT : Orange Business Services a beaucoup renforcé ses capacités de service et d’intégration informatiques au cours des cinq dernières années. A tel point qu’OBS figure aujourd’hui dans le top dix des infogéreurs français. Pouvez-vous faire un point sur le poids de ces activités chez Orange aujourd’hui ?

Vivek Badrinath : D’un point de vue métier, le profil OBS a beaucoup évolué au cours des quatre dernières années. Nous avons eu une logique qui nous a amené à nous développer dans des secteurs connexes à nos activités historiques. Les acquisitions d’Almerys (SSII spécialisée dans la gestion des remboursements de santé avec près de 12 millions de bénéficiaires, NDLR), de Silicomp (un intégrateur systèmes et réseaux racheté en 2006, NDLR) et de Diwan (intégrateur réseau disposant de compétences dans les outils collaboratifs et dans les call centers racheté lui aussi en 2006, NDLR) ont permis de faire rentrer dans le groupe des compétences informatiques qui nous ont conduit à faire évoluer le portefeuille d’activité.

Aujourd’hui Orange Business Services a des activités réseaux, des activités autour du réseau (convergence) et des activités plus informatiques sans aller toutefois jusqu’au développement applicatif. Plus généralement, nous nous développons rapidement sur les activités de services autour du réseau et de l’infrastructure. Globalement, nous restons en adjacence autour de zones de forces. Pour Orange Business Services, ces nouvelles activités sont porteuses de croissance alors que l’on observe une décroissance des activités de réseaux traditionnelles.

LeMagIT : Le développement dans des activités connexes est-il une façon de doper ou de redorer vos marges ?

V.B. : nous allons certes chercher de la marge dans les activités informatiques, puisque notre objectif est de toute façon d’avoir une activité rentable. Mais les deux modèles sont différents. Les activités réseaux imposent des investissements plus lourds, mais assurent des revenus récurrents. Les activités informatiques apportent un retour à plus court terme. Au total le mix se tient bien…


LeMagIT : Où en est aujourd’hui l’économie d’OBS et que pèse l’international dans vos activités ? Pouvez-vous faire le point sur votre stratégie de développement dans les pays émergents ?

V.B. : la définition de notre positionnement est finalement assez simple: a ce stade nous avons un fondement qui est la fourniture de solutions de connectivité à nos clients. Au dessus, nous avons acquis la capacité d’exploiter les infrastructures informatiques de ces clients. D’où l’ouverture vers le cloud, qui sera souvent plus privé que public, vu notre cible de clientèle. Et ensuite une posture allant vers les applications de communications qui sont en continuité de nos métiers traditionnels (communications unifiées, centres d’appels, CRM…). En plus de ces activités nous disposons aussi de quelques verticales comme par exemple, les services de communication pour le trading financier, la fourniture de services réseaux sécurisés pour les grandes banques de détails ou le secteur de l’aéronautique. Du fait de l’historique Equant, nous sommes un partenaire de longue date de SITA. Il y a certes moins de x25 que par le passé, mais c’était sans doute souhaitable (rire…)

D’un point de vue géographique, nous sommes présents dans 172 pays et notre ambition est vraiment d’être global. Nous constatons une très forte augmentation de l’activité dans les pays émergents. L’Afrique part de bas, mais nous avons vraiment quelque chose à apporter aux multinationales dans cette région, où nous disposons de solides implantations. Nous avons aussi une bonne croissance en Asie/Pacifique. En fait notre développement est logique par rapport aux grands axes de communications européen : nous voyons une croissance sur les grands corridors du commerce mondial.

LeMagIT : Quels sont les concurrents que vous rencontrez le plus souvent ?

V.B. : Nous rencontrons régulièrement Verizon, AT&T ou BT. Mais en terme de maturité produit (gestion de SLA et processus), nous estimons avoir quelques années d’avance sur eux.

LeMagIT : En France, et en Europe, la plupart des entreprises ont entrepris de refondre leurs architectures de datacenters et commencent à s’intéresser aux technologies de cloud. Il y a quelques années, un acteur comme Orange n’aurait sans doute pas été vu comme un partenaire potentiel dans un tel chantier ? Est-ce différent aujourd’hui et si oui à quoi est selon vous due cette évolution ?


V.B. : nous sommes de plus en plus vus comme légitimes sur le domaine du service informatique. Les clients nous écoutent sur le sujet. Pour beaucoup de clients, nous sommes légitimes car nous avons la capacité de nous engager de bout en bout. Par exemple, certaines banques qui sont des clients IBM historiques nous invitent désormais à participer à leurs appels d’offres, alors qu’auparavant elles ne l’auraient pas envisagé. Outre l’infrastructure, nous sommes par exemple légitimes sur des prestations comme la gestion des postes de travail, la mise en place de postes de travail communicant, la messagerie. Est-ce que ces clients sont pour autant prêt à nous confier autre chose que l’infrastructure comme par exemple leurs applicatif métier, à supposer qu’ils l’externalisent, ça m’étonnerait. Ceci dit, nous avons des touches bien plus intéressantes dans l’industrie. Par exemple lorsque Sagemcom a du sortir du périmètre de Safran, nous les avons accompagnés dans la mise en oeuvre de leur infrastructure SI et nous l’avons fait en moins de 18 mois.

LeMagIT : Au cours des deux dernières années, Orange a fait plusieurs annonces cloud. La plus récente est liée au partenariat avec EMC, Cisco et VMware pour l’intégration de solutions vBlock chez vos clients (flexible 4 business). Malgré ces annonces, Orange semble ne progresser timidement dans la construction d’une offre de cloud public à grande échelle. Certains de vos concurrents comme AT&T, Verizon ou Colt, semble avoir été un peu plus vite. Cela s’explique-t-il par une approche différente de la part d’Orange, ou n’avez-vous tout simplement pas encore défini vos choix en la matière ?

V.B. : pour ce qui est du cloud, la demande n’est pas mature aujourd’hui. Nous ne disposons pas non plus de produit que l’on peut emballer. Mais les choses sont en train de se stabiliser. Dans toutes les DSI de grands groupes, la question de la constitution d’un catalogue d’infrastructure est à l’ordre du jour. Tout le monde se pose la question de comment assembler l’infrastructure sur laquelle tournera son environnement applicatif. Et le moins que l’on puisse dire est que les offres de cloud industrielles, genre petite, moyenne, grande machine virtuelle ne répondent pas aux besoins actuels des grands comptes. Ceci dit les choses avancent vite et si l’on regarde en arrière dans 12 mois, on sera sans doute surpris par le niveau de maturité atteint.

La photo est différente pour les PME et les développeurs pour lesquels les offres sont matures. Par exemple chez les développeurs, certaines sociétés ont fait du cloud dès le début car elles n’avaient pas les moyens de bâtir et de gérer eux-mêmes leur infrastructure. Pour ces publics, notre offre Flexible computing Express répond bien aux besoins. Le problème est très différent chez les grands comptes qui disposent en propre des ressources d’infrastructure pour héberger leurs propres serveurs.

LeMagIT : Aux Etats-Unis, l’émergence d’offres de cloud applicatif comme Microsoft Azure ou Joyent, s’est accompagnée de l’éclosion d’une nouvelle génération de start-ups, qui développent du logiciel à tout va et profitent du faible coût et de l’élasticité des services cloud pour se développer. L’absence de telles offres de cloud en France et plus généralement en Europe n’est-elle pas le signe d’opportunités manquées par des opérateurs qui ont encore du mal à comprendre l’importance du logiciel et qui ont une réflexion très orientée sur les infrastructures ? Ne pose-t-elle pas aussi la question de la compétitivité de l’industrie du logiciel en Europe, qui aurait sans doute bien besoin d’une infrastructure en cloud similaire pour se développer ?

V.B. : sur ce point nous sommes d’accord et début juillet nous avons répondu avec Dassault et Thales dans le cadre du grand emprunt pour développer ce que nous appelons des centrales numériques. Il est clair que pour encourager l’émergence d’une nouvelle génération d’entreprises, il faut que l’offre de cloud soit disponible. Ce ne sont pas les datacenters qui manquent. Mais l’émergence de telles centrales numériques serait aussi un moyen de stimuler la demande. L’un des avantages d’une aide de l’état, serait de permettre de faire du « forward pricing « (en clair, dès le lancement de l’offre et même si la demande est faible, le financement de l’Etat permet de pratiquer des prix compétitifs à même de générer la demande, sans l’habituel surcoût que paient les nouveaux entrants pour une technologie nouvelle, NDLR). Nous ferons en sorte que les prix correspondent dès le départ à des volumes élevés.

Nous pensons que nous pouvons avoir un rôle de déclencheur avec de telles offres et il y a aussi un intérêt à les localiser dans l’hexagone. (…) La France est un pays plutôt sympathique pour ce qui est des tarifs et de la sécurité de l’approvisionnement énergétique. C’est un véritable atout compétitif pour notre territoire.

LeMagIT : Vous investissez aujourd’hui dans le cloud d’infrastructure, mais certains de vos partenaires historiques comme Microsoft se sont eux lancés dans le Paas (et le SaaS) et s’imposent de plus en plus comme des concurrents potentiels de certaines de vos offres (communications unifiées, messagerie…). Et ce phénomène ne devrait que se développer. Ne devrez-vous pas tôt ou tard développer vos propres offres PaaS ou SaaS ?

V.B. : pour ce qui est de la partie communication, nous disposons déjà de notre offre en mode SaaS, baptisée UCAS – pour Unified Communication as a Service (cette offre s’appuie sur une infrastructure logicielle Microsoft basée notamment sur Lync Server, ex-Office Communications Server, et sur Exchange, NDLR). Sur le PaaS, nous n’avons pas fait de choix. Mais dans les grands comptes, certains DSI ont des opinions fortes sur le sujet. Nous restons donc flexibles et nous adaptons aux demandes qui nous parviennent.

LeMagIT : L’émergence de certains services en cloud tels que zscaler (sécurité en nuage) est une menace potentielle pour le revenu des opérateurs et ce de façon directe (moins de services d’intégration et ventes de produits) comme indirecte (l’usage de services comme zscaler est de nature à profondément modifier les architectures réseaux des entreprises (moins de liens MPLS, de VPN, beaucoup plus de liens internet). Comment réagissez-vous face à l’émergence de tels services ? D’une certaine façon, ne ferait-il pas sens pour Orange d’acquérir de telles sociétés tant qu’elles sont encore « jeunes » ?

V.B. : il y a un sport chez les opérateurs télécoms, qui consiste à se faire peur. Toute industrie a aujourd’hui son pire cauchemar dans le web. Par exemple, le business de la voix est vulnérable à la voip gratuite. Il suffit aussi de regarder ce qui est arrivé au marché de la musique pour avoir une idée des risques. Il faut donc rester en veille.

Mais les clients restent aussi conservateurs, car les prix baissent. C’est le théorème de [Steve] Jobs : à 99 centimes le morceau de musique, pirater n’est pas si rentable que ça vu le temps, les complications techniques et les risques encourus. Pour en revenir à votre question, l’enrichissement des services nécessite des investissements coûteux dans l’infrastructure et, pour nous, c’est un axe de défense. On est dans un ciseau inverse, les prix de l’infrastructure IT baissent, mais ce que l’on transforme a de plus en plus de valeur pour les entreprises, donc il y a un risque à casser l’existant. Certes, les clients paient pour du service, mais ils en ont aussi pour leur argent. Et puis certains aspects réglementaires jouent en notre faveur comme la question de la localisation des données.

En fait, le cloud est une opportunité pour nous. Par exemple lorsque nous avons acquis Neocles et son savoir faire de virtualisation (Neocles était l’un des intégrateurs pionniers de la virtualisation et des technologies VMware et a été racheté en octobre 2006 par Orange, NDLR), cela a immédiatement été accrétif pour Orange Business Services. Notre revenu stream au-dessus du réseau il y a cinq ans, c’était zéro. Nous n’avons donc pas grand chose à perdre à nous développer dans un modèle cloud. Et par rapport à certains concurrents nous apportons des savoir-faire précieux comme le modèle de sécurité lié à nos offres de VPN MPLS, et des processus industrialisés. C’est en fait là que nous apportons de la maturité et des effets d’échelle, sans sous-estimer notre aptitude à maitriser la chaine de bout en bout, ce qui est intéressant pour certains clients. Bref, nous ne négligeons pas les risques induits par l’apparition de nouveaux concurrents, mais nous ne les surestimons pas non plus.

Vivek Badrinath, CEO Orange Business Services

41 ans

(Crédit photo : François Maréchal pour Orange)

Carrière

Orange

Avr. 2010 : devient CEO d’Orange Business Services suite au départ de Barbara Dalibard pour la SNCF

Oct. 2008- nov. 2010 : président de l’alliance NGMN (Next Generation Mobile Networks)

Avr. 2004 – mars 2010 : rejoint Orange au nouveau poste de CTO puis devient Vice-Président d’Orange en charge des produits, des technologies de l’information et de l’innovation.

1996 – 2000 : En charge de l’interconnexion et du planning réseau chez Orange

Thomson

2000-2003 : Président et directeur de Thomson India

Ministère de l’Industrie

1993 : débute sa carrière au Ministère de l’Industrie

Formation

1992 : diplômé de Sup’ Télécom

1991 : DEA de Modélisation Stochastique et de Statistique (Paris XI – Orsay)

1990 : diplômé de l’Ecole Polytechnique

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