Sans surprise, les déclarations de son PDG Philippe Tavernier assurant qu’un « désengagement de l’État [de Numergy] n’était pas d’actualité » et tendant à discréditer l’hypothèse d’un mandat de vente par SFR n’ont pas franchement convaincu. « Le scénario le plus crédible c’est que Numergy ne va pas tarder à manquer de liquidités et que personne ne veut plus remettre dans ce puits sans fond », estime un infogéreur approché pour discuter d’une reprise de l’entreprise.
De fait, si l’on en croit les estimations de BFMTV en mai dernier, Numergy aurait déjà accumulé 41,1 M€ de pertes depuis 2012 – dont 20 M€ rien que pour l’année 2014 – pour un chiffre d’affaires dépassant à peine 5 M€ en 2014. Des revenus dont « une grosse majorité est héritée de SFR Business Team, sur une technologie qui n’est pas celle qu’a développée Numergy en OpenStack ».
Pour un partenaire de la marque, il est parfaitement vraisemblable que SFR ait décidé de couper les crédits à sa filiale. « La vision de Patrick Drahi dans la construction du futur groupe SFR-Numéricable passe par des économies drastiques au sein de la DSI de SFR », estime-t-il. SFR est en pleine rationalisation de ses dépenses par un cost-killer ayant des priorités autres que le Cloud public.
Un tour sur Linkedin permet de se rendre compte que les départs se sont multipliés ces derniers mois chez Numergy. Une vague de départ qui n’est pas du meilleur effet : les clients pourraient se demander si l’exploitation de l’infrastructure ne risque pas d’en pâtir dans les mois à venir. Et la publicité faite autour de son avenir incertain aurait pour effet de « geler les nouveaux contrats« , selon un ex-collaborateur qui a récemment rejoint un concurrent.
Pour autant, tout n’est pas négatif dans le dossier Numergy. « La marque a été bien valorisée et jouit d’une notoriété conséquente », remarque l’infogéreur pressenti pour reprendre l’entreprise. Comme l’a souligné l’entreprise dans son communiqué mercredi, elle revendique désormais 600 clients qui ont déployé ses services, dont 40% des entreprises du CAC 40, et un écosystème de 70 partenaires (intégrateurs, infogérants, SSII et éditeurs) et de 35 startups Cloud. L’entreprise arbore par ailleurs trois certifications : ISO 27001, ISO 9001 et CSA Star. Enfin, sa croissance serait proche de 100% aux dires de son PDG. À Silicon, il annonce que ses prises de commandes devraient plus que doubler cette année à 12 M€ (mais devant LMI, il n’évoque que 10 M€ de chiffre d’affaires en 2016).
Toute la question est de savoir le prix qui en sera demandé par ses actionnaires actuels. « La Caisse des dépôts n’a pas vocation à subventionner », rappelle notre interlocuteur et elle voudra, autant que faire se peut, récupérer sa mise. Vu l’argent déjà englouti – 56 M€ selon l’estimation BFMTV au printemps – le prix espéré par les vendeurs est probablement sans rapport avec les actifs réels de l’entreprise. Cela dit, la Caisse des dépôts, qui « ne s’attendait pas à se retrouver avec Altice au tour de table et le craint », aura probablement plus de mal que prévu à imposer ses vues pour sortir par le haut.
Autre écueil : le candidat à l’achat aura intérêt à être tricolore. Des discussions auraient, paraît-il, eu lieu avec HP mais la Caisse des dépôts aurait mis son veto à l’arrivée d’un investisseur étranger. Un Cloud souverain qui passe sous le contrôle d’une multinationale américaine après autant d’argent public déjà dépensé, cela ferait désordre… Finalement la meilleure solution pourrait être de ne pas vendre et continuer à injecter de l’argent en espérant que le puits sans fond finisse par se transformer en bonne affaire. « Mais le marché n’est pas suffisamment sensible aux risques souverains et nous sommes déjà dans une course au moins-disant sur les prix », regrette un partenaire.