La fin du jeu semble avoir sonné pour le Cloud souverain à la française. À en croire notre confrère de l’Usine Digitale, Ridha Loukil, qui cite un acheteur potentiel, SFR chercherait à se débarasser de sa participation dans Numergy. Actionnaire à 47%, SFR aurait précipité sa décision suite à la décision de la Caisse des dépôts, bras armé de l’Etat, d’interrompre ses investissements dans la société.

Une information qu’a aussitôt démentie le PDG de Numergy, Philippe Tavernier, dans les colonnes de Silicon : « Ce matin même, la Caisse des dépôts m’a confirmé qu’un désengagement de l’Etat n’était pas d’actualité. Par ailleurs, je ne suis pas au courant d’un mandat de vente qui aurait été confié par SFR pour se désengager de Numergy ».

Dont acte. Mais, ce que ne dit pas Philippe Tavernier, c’est que la Caisse des dépôts aussi est vendeuse, comme nous l’a confirmé un grand hébergeur français qui a été approché avant l’été.

Que Numergy soit à vendre ne surprendra personne. Depuis, le rachat par Orange de Cloudwatt, l’autre champion du Cloud souverain voulu par l’Etat, chacun s’attendait à une telle issue.

D’autant que SFR et Bull, ses deux actionnaires de référence avec la Caisse des dépôts, ont tous les deux changé de mains l’année dernière, l’un passant dans le giron du groupe Numéricable, et l’autre dans celui d’Atos. Deux groupes ayant déjà leurs propres datacenters et dont les stratégies ne sont pas forcément compatibles avec celle de Numergy. SFR/Numéricable a besoin de se désendetter et Atos a trop de concurrents parmi les partenaires de Numergy.

Dès lors, plusieurs questions se posent : Qui serait susceptible de racheter Numergy ? Pour quoi faire ? À quel prix ? Avec quel effectif embarqué ? Nous avons posé la question à des hébergeurs et fournisseurs de services hébergés français.

Qui pour reprendre Numergy?

En l’occurence, personne ne voit vraiment qui pourrait reprendre Numergy. « Numergy ne dispose ni d’une technologie non reproductible facilement (et pour moins cher qu’un rachat) ni d’un portefeuille clients exceptionnel », résume Sébastien Enderlé, président d’ASPserveur (Groupe Econocom). D’autant que Numergy tire une partie de ses revenus de l’indirect. Un hébergeur qui rachèterait la société prendrait le risque de voir fuir les partenaires, comme cela a été le cas pour Cloudwatt.

Considéré dès le départ comme un repreneur naturel de Numergy, Atos aurait malgré tout accepté d’entamer des discussions, selon un concurrent. Mais celles-ci traîneraient en longueur. « Peut-être qu’un acteur provincial de type hébergeur pourrait être intéressé afin de s’implanter en région parisienne », s’avance Bruno Marty, DG d’Aspaway. D’autres entrevoient la possibilité qu’un acteur ou un fonds étranger se positionne pour constituer ou consolider une position en France et disposer de la marque et de la notoriété. Autre hypothèse : un rachat par un opérateur de moyenne dimension, en forte croissance et en manque d’infrastructure pour avoir « une offre prête à l’emploi et garantir la continuité de la croissance ». Mais peu croient qu’un des opérateurs de référence du Cloud français tels qu’OVH ou Ikoula puisse être intéressé, ayant déjà les infrastructures et la notoriété.

À quel prix ?

À cette question, un consensus se dégage : la valorisation de Numergy serait équivalente à son chiffre d’affaires (6 M€ en 2014 mais 12 M€ attendus cette année) réhaussée de son éventuelle trésorerie et diminuée de ses dettes. En pratique, Numergy ne vaudrait pas grand-chose, hormis son cash disponible. Ses revenus sont faibles – notamment au regard des capitaux propres investis (225 M€) – et ses charges sont réputées élevées, avec un effectif de l’ordre de 75 personnes, selon les dernières déclarations de Philippe Tavernier à Silicon – un chiffre en baisse par rapport à la centaine de personnes que l’opérateur revendiquait il y a quelques mois. « Au regard des sommes déjà investies, il sera difficile à trouver un repreneur sans une très forte moins-value », estime pour sa part Pedro Sousa, président de Plenium.

« La valeur globale reste faible je pense, selon Philippe Humeau de NBS System. Vu les sommes investies, il y a probablement du matériel intéressant et une architecture correcte. Mais le projet est assez complexe à reprendre et le matériel vieillit rapidement ». Quant au parc clients et partenaires, il n’aurait rien de comparable avec ceux d’Amazon, Google ou Microsoft, qui « remportent le gâteau ». « AWS a un bon nombre d’infogérants partenaires et il est demandé par les clients. Pour le moment nous n’avons jamais de demandes pour fournir du service sur la plateforme Numergy ». Dans un communiqué paru ce jour, Numergy revendique toutefois 600 clients, dont 40% des entreprises du CAC 40, et 70 partenaires.

Avec quel effectif embarqué ?

Là encore, le consensus est qu’une société dans ce secteur peut supporter environ 5 personnes par tranches de 1 M€ de revenus, soit environ 60 personnes pour un chiffre d’affaires de 12 M€ mais seulement une trentaine pour 6 M€. Mais quel que soit le nombre de personnes reprises par un éventuel acquéreur, le risque se situe plutôt dans la fuite des cerveaux. Les équipes en charge de la gestion du Cloud Numergy n’auront aucun mal à se recaser, remarque avec gourmandise le directeur général d’un hébergeur du Nord de la France. Le repreneur aura probablement à cœur de bénéficier de l’acquis technique mais il devra y mettre le prix en proposant un projet accrocheur.

« Un échec de l’administration énarchique »

Toujours est-il que si elle venait à se confirmer, la vente de Numergy sonnerait le glas des ambitions de l’Etat dans le Cloud. Une opinion unanimement partagée. En la matière, personne n’a de mot assez dur pour fustiger l’échec du Cloud souverain. « C’est clairement un échec de l’administration énarchique française qui a voulu contrer le modèle américain, juge Fabrice Tetu, PDG du groupe Diademys. Sauf que l’administration hexagonale n’a pas de vision business. Elle aurait mieux fait de subventionner les investissements massifs réalisés par des entrepreneurs du Cloud, que nous représentons. La croissance aurait été au rendez-vous ».

« L’échec est un mot faible. Je parlerai plutôt d’incompétence de nos gouvernants dans un domaine qu’ils ne comprennent pas, estime pour sa part Bruno Marty, d’Aspaway. Plutôt que de s’appuyer sur des entreprises existantes pour développer le Cloud souverain (je pense à OVH par exemple), ils ont trouvé plus malin de démarrer ex-nihilo avec des actionnaires de type opérateurs telecoms et de l’argent public. Cloudwatt est mort, Numergy se bat pour survivre. C’est donc surtout un beau gâchis et ça démontre un fois de plus que le jacobinisme forcené des politiciens de ce pays est la plupart du temps nuisible pour sa croissance et sa crédibilité internationale. »