À l’heure où Dell grossit comme la grenouille de la fable, HP semble avoir opté pour le démantèlement. L’entreprise s’est d’abord scindée en deux en novembre 2015 avec les PC et les imprimantes d’un côté et les activités entreprise de l’autre. À la suite de quoi, HPE, la partie entreprise a annoncé en en mai dernier la vente de son activité services, puis celle de la plus grosse partie de son activité logiciels le mois dernier. La question que tout le monde se pose désormais est : quelle sera la prochaine activité cédée ?
Le nouvel HPE plus de quatre fois plus petit que le HP d’il y a cinq ans
À l’issue de la vente des services et des logiciels, ce qui reste de HP pèsera moins de 30 milliards de dollars de revenus annuels alors que le groupe pesait 127 milliards il y a cinq ans lorsque Meg Whitman en a pris la tête. À l’époque l’entreprise était endettée à hauteur de 12,5 milliards d’euros. Aujourd’hui, HPE a renoué avec la croissance et dispose de 5,5 milliards de cash.
Dans une interview à CRN, Whitman explique avoir replacé l’entreprise dans une dynamique positive en remettant les partenaires au centre de sa stratégie et en relançant le moteur de l’innovation. C’est ce qui a permis par exemple de développer un nouveau produit comme le HC 380 – la solution d’hyperconvergence maison – en cinq mois alors qu’il aurait fallu deux ans autrefois. Meg Whitman explique également qu’il y a cinq ans, HP était au plus bas dans ses enquêtes partenaires. Aujourd’hui, après avoir remis les partenaires au centre de sa stratégie, avec des concepts tels le Channel first, la marque brille à nouveau dans les enquêtes channel.
Une satisfaction palpable dans les propos des partenaires. Le directeur d’un gros partenaire du Sud-Est constate que la stratégie channel first de Meg Whitman s’est globalement traduite au cours des cinq dernières années par « une meilleure écoute des besoins des partenaires et des remontées terrain ; une progression des facturations, une amélioration des marges, une meilleure visibilité sur la stratégie à moyen terme et plus de moyens marketing (outils et cofunding) ». Fabrice Blain, responsable des partenaires d’ITS Group, un gros partenaire de HP en France, se félicite pour sa part que « le nombre de partenaires HPE [ait] diminué de manière simple et mesurable, que la faveur [soit] désormais donnée à l’investissement amont sur les projets, aux compétences techniques, et à la capacité à proposer une offre globale, et que des territoires commerciaux [soient] laissés en complète délégation aux partenaires ».
Un déluge d’innovations
L’effort d’innovation de HPE et HP Inc est également unanimement salué. Parmi les innovations les plus abondamment citées : l’approche « composable infrastructure » de Synergie (« en avance sur le marché, comme l’ont été les châssis en leur temps, annonciatrice de projet structurants chez les clients »), HC 380, Cloud Service Automation, Aruba Unified Communications, Appolo et Moonshot pour les serveurs, les baies full flash 3par peer persistant pour le stockage, l’offre laptop et tablette, le slice et le mini coté HPI, la nouvelle encre laser…
La séparation des différentes activités en entités autonomes vient parachever ce travail de relance. C’était le seul moyen, selon Meg Whitman, de redonner durablement de la vigueur à son activité et de renforcer sa capacité d’innovation. Pour pouvoir courir plus vite, il fallait que l’entreprise soit plus petite. « De fait, la relance promise il y a cinq ans a échoué, explique un délégué syndical de HP France. Du coup, Meg Whitman a changé ses plans et s’est employé à rendre autonome les principales entités du groupe en les adossant pour leur permettre de retrouver l’énergie et la croissance qui lui faisaient défaut. Pour l’instant, c’est une réussite boursière et c’est une réussite du point de vue des salariés. Du moins pour ceux de HP Inc (la partie PC et imprimantes). »
Mais si les marchés ont globalement souscrit à la démarche – HP Inc ne s’est pas écroulé comme redouté et a même grimpé de 30% en bourse – certains crient au dépeçage. « Je suis convaincu que HPE sera à vendre ou vendue sous peu, s’alarme un salarié sur un blog syndical. […] Il fallait refuser par tous les moyens cette scission mortifère qui n’a fait que fragiliser irréversiblement l’édifice. RIP »
Une séparation HPE/HPI bénéfique pour les partenaires
« De mon point de vue, la séparation HPE/HP Inc est une bonne chose, les deux entités ayant des cycles d’innovation, et donc d’investissements, différents, explique Fabrice Blain. HPE repose sur des process « longs » qui devront répondre aux attentes du marché et des clients sur une période de 10 à 15 années, avec des choix structurants en terme d’applicatifs et d’approche métier client. En revanche, HP Inc doit innover en continu et les cycles de renouvellement sont plus rapides. Le look & feel prime sur la technicité. Cette séparation permet donc à chacune des entités d’évoluer selon son propre rythme, tant pour faire des acquisitions (par exemple Samsung Printer), que dans le recentrage de ses offres (les ventes récentes de HPE).
Un avis globalement partagé par les partenaires que nous avons interrogés. « Ne faisant que du HPE et plus spécifiquement du serveur, cette séparation nous va bien, expose Tanguy Moreux, directeur du développement de Naitways (qui a fusionné avec BFS Network en juillet dernier). Nous sommes mieux valorisés et moins noyés dans un amas de partenaires qui faisaient aussi bien du print que du stockage ou du serveur. Depuis la scission nous bénéficions d’un meilleur suivi, d’une équipe plus spécialisée, et du coup nous sommes plus protégés qu’avant. » « La séparation est clairement une opportunité de croissance pour moi avec HPI et HPE, renchérit Lionel Vargel, directeur général du site marchand Compufirst. Je constate déjà concrètement depuis plusieurs mois que les deux entreprises ont gagné en agilité, en flexibilité et en focus. »
Même les plus petits partenaires y ont trouvé leur compte. Ainsi, Michel Rathier, président d’Altix Solutions, pourtant très critique vis-à-vis de la stratégie de « démantèlement du groupe », en convient : « HPE fait des efforts pour mieux accompagner les « petits » partenaires, leur offrir un meilleur suivi et leur permettre de travailler avec de meilleurs outils ». C’est valable pour HPE, mais pas pour HP Inc, dont la qualité de services s’est au contraire « totalement dégradée ». « HPE a resserré sa relation avec les partenaires SMB, abonde un autre petit partenaire basé en Vendée qui ne souhaite pas être cité. Aujourd’hui, on bénéficie d’une rigueur dans le suivi qui n’était qu’occasionnelle auparavant. Cela se manifeste par des rencontres régulières, par la mise à disposition de ressources avant-vente qu’on peut appeler pour designer des offres et closer des affaires, des incentives, des outils marketing…On se sent plus soutenu et cela fiabilise notre business ».
Une stratégie recentrée sur la vente d’infrastructures
Mais les partenaires sont plus nuancés sur la pertinence pour HPE de se séparer de ses services et de ses logiciels. Selon Loïc Mignotte, président d’Activium : « c’est probablement une bonne chose. Il y avait peu de synergies visibles entre ces différentes activités. L’entreprise va gagner en agilité. » Pour Fabrice Blain, si l’opération se justifie pour les services – « le constat a dû être fait que HPE n’était pas dans le top 3 mondial de l’infogérance, et que le modèle était peu générateur de nouvelles ventes d’infrastructures, métier principal et moteur d’innovation de HPE », il estime en revanche que « dans un monde réclamant une approche solution, et software defined, se séparer d’une entité software est surprenant. Néanmoins, les logiciels vendus ne sont pas ceux qui étaient le plus adhérents aux infrastructures et aux concepts énoncés. »
Mêmes réserves pour Jean-François Marchal, dg X9000 : « autant la première séparation semblait assez logique, correspondant à des métiers différents, avec des approches clients différentes – les effets ont d’ailleurs été positifs pour X9000 – autant je suis plus mitigé concernant le logiciel… Il va falloir regarder en détail les produits transférés. Ce qui est rassurant, c’est que les produits seront toujours revendus par HPE, comme Microsoft ou VMware… »
« Je comprends le split HPE-HP Inc qui sont positionnés sur des marchés avec des enjeux technologiques et financiers différents, explique le directeur commercial grands compte d’un corporate reseller. Mais j’ai plus de difficulté à lire la stratégie HPE sur le démantèlement des services et software après avoir expliqué au marché pendant plusieurs mois sa volonté de maîtriser toute le cycle de vie de la donnée à travers la mise à disposition des infrastructure et des logiciels associés. »
Alors manque de vision stratégique ou adaptation au marché magistralement exécuté ? La question reste posée. Mais il est probable que, débarrassé de sa dette et plus agile, HPE aura des atouts face à son principal concurrent Dell Technologies, désormais alourdit d’une dette de 70 milliards et d’un chantier d’intégration qui démarre à peine.