S’ils constatent encore peu de conséquences tangibles sur leur activité, les prestataires IT ne doutent pas que l’épidémie de Coronavirus aura un impact sur leur business. Les signes annonciateurs s’accumulent et chacun se prépare à « encaisser ».

La plupart commencent ainsi à rencontrer des problèmes d’approvisionnement sur le matériel (PC, portable, cotations spéciales). « Les approvisionnements qui étaient déjà difficiles depuis l’automne dernier, notamment à cause des difficultés d’approvisionnement d’Intel, sont en train de se compliquer davantage, explique Philippe Gaitte, directeur de l’intégrateur pictavien RSI. Les stocks se vident. Les grossistes ne sont pas en mesure de communiquer de manière efficace sur les délais de livraison. La plupart d’entre eux utilisent SAP et les délais qui sont affichés sur leurs sites web sont des délais calculés sur la moyenne des précédents approvisionnements ou sur une estimation de délai moyen hors période de crise. Les indications disponibles sont donc totalement fantaisistes. »

La planification des projets devient aléatoire

Des difficultés d’approvisionnement qui posent évidemment des problèmes concrets aux prestataires : « c’est toute la planification des projets et des déploiements qui devient aléatoire et difficile à structurer », constate Dominique Plottier, président du prestataire rhône-alpin de services IT Access Group. « Cela pose notamment des problèmes aux grands clients qui réclament du spécifique ou du sur-mesure, complète Marc Hia Balié, directeur général de Lafi. Pour les plus petits clients, il est plus aisé de les orienter vers d’autres produits en fonction des disponibilités des grossistes ».

« Les signaux pour l’instant sont très faibles sur la partie services », estime Pascal Chavernac, co-dirigeant du prestataire de services infogérés de l’Aude Sigma Méditerranée. Néanmoins, « je reçois, depuis deux-trois semaines, davantage de propositions de consultants indépendants ou de sociétés proposant des profils en sous-traitance, ce qui témoigne d’un léger tassement dans le niveau d’activités actuel de notre secteur », constate pour sa part Edith Letournel, directrice générale de la société de services alto-séquanaise eFrontech.

Certains secteurs déjà impactés, l’inquiétude gagne

Plus inquiétant, l’activité de certains clients commence déjà à être impactée. C’est le cas des entreprises qui traitent ou échangent avec l’Asie mais aussi des entreprises des secteurs de l’événementiel, du tourisme, du transport aérien… Et dans les secteurs épargnés jusqu’à présent, l’inquiétude et l’incertitude gagnent. « Avec les bourses qui dévissent, le pétrole qui fait de même…, la panique générale est en train de monter », note Eric Le Goff, président de l’intégrateur breton Alticap.

Résultat : l’attentisme prend le pas. « On ne constate pas de perte ou de gels de contrats pour le moment mais [on enregistre] certaines temporisations sur des extensions de périmètre de contrats en cours », commente Xavier Raymond, directeur général du pure player Microsoft Ai3. Et de nouvelles contraintes apparaissent : « les plus grandes entreprises mettent en place des mesures de sécurité qui obligent notamment leurs fournisseurs à s’engager sur l’état de leurs personnels (retour de pays et de zones particulièrement exposées), note Dominique Plottier. En outre ces entreprises décalent ou reportent des interventions dont les échéances sont pourtant fixées par avance au titre des contrats d’infogérance. »

Des augmentations de 50% des tarifs de certains produits

Peu d’impact business pour le moment, donc, mais des conséquences déjà bien tangibles. Et chacun s’attend à vivre une période plus ou moins compliquée. Comme le souligne Xavier Raymond, d’Ai3, « tout va dépendre de l’importance de la crise sanitaire en France et […] de l’ampleur de la crise économique qui va s’ensuivre ». « Nous pensons devoir faire face à une pénurie sévère de matériel ainsi qu’à une augmentation des tarifs, déclare Philippe Gaitte, de RSI. Nous avons d’ores et déjà observé des augmentations jusqu’à 50 % sur les tarifs de certains produits (SSD, carte RAID, etc.). Bien que notre activité soit essentiellement basée sur le service, l’indisponibilité des matériels va diminuer le volumes des prestations de migration qui étaient à un niveau élevé depuis de début de l’année. Ces éléments auront une incidence sur le volume d’activité au deuxième trimestre et probablement au troisième trimestre. »

Antoine Voillet, PDG du prestataire de services et solution IT nantais Dynamips, est plus optimiste. Il se dit « confiant pour une reprise rapide avant l’été ». Même optimisme de Dominique Plottier, d’Access Group : « à moins d’un effondrement de l’économie mondiale, je reste assez positif sur la reprise d’une activité “normale“ sous un mois ». Edith Letournel, d’eFrontech, est sur la même ligne : elle anticipe une « légère diminution du volume des demandes, mais un impact limité, à condition que nous soyons – et c’est prévu – encore plus au contact de nos clients ». Marc Ia Balié, de Lafi, souligne toutefois que même si la production semble redémarrer en Chine, cela va prendre des semaines avant que la situation ne revienne à la normale.

Craintes de chômage partiel, notamment dans les services sur site

Néanmoins, plusieurs de nos interlocuteurs redoutent en off d’avoir à prendre des mesures de chômage partiel.  « Du chômage partiel sera mis en place si les ruptures d’approvisionnement durent encore deux ou trois mois », prévient l’un d’eux. Certaines activités de services sont ainsi particulièrement vulnérables à une aggravation de l’épidémie. Cela concerne notamment ceux « dont le métier est d’être en intervention chez les clients », comme le soulignait Laurent Silvestri d’OpenIP dans nos colonnes la semaine dernière. En revanche les activités d’infogérance et de Cloud pourraient être moins sensibles.

C’est d’ailleurs le raisonnement d’Access Group qui explique que ce contexte « renforce [ses] orientations en faveur du Cloud (IaaS) et des services opérés à distance (supervision, infragérance, centre de services…) afin d’optimiser toutes les prestations à l’abonnement et de diminuer notoirement les contraintes opérationnelles de terrain (hors déploiement). »

Pour sa part, Eric Le Goff d’Alticap, se dit « attentif aux mesures mises en place par le gouvernement (report charges, report prêts bancaires, chômage partiel…) ». Quant à lui, Philippe Gaitte indique que « si le volume d’activité diminue fortement [il profitera] de cette période pour faire de la formation des équipes techniques et de la maintenance proactive chez les clients, en attendant la disponibilité des matériels »