A l’issue d’un vote qui s’est déroulé mardi soir, le conseil de la ville allemande de Fribourg a validé le retour à une suite Office, presque 6 ans après avoir débuté un plan de migration vers OpenOffice et ODF.

 

 

Echec du logiciel libre sur le poste de travail d’une ville européenne. La ville allemande de Fribourg a décidé de stopper la migration de ses suites bureautiques vers OpenOffice pour revenir à ses premières amours moins libres : Microsoft Office. Fribourg, une ville de presque 220 000 habitants, qui aux côtés de Munich, fait office de pionnier dans la migration vers les logiciels libres sur le poste de travail fait machine arrière. En cause : le manque de compatibilité entre le format OpenDocument (ODF) et OOXML (OpenXML, format natif de Microsoft Office) et la difficulté de gérer les échanges avec des prestataires externes, travaillant eux généralement sous Microsoft Office. Ce mardi 20 novembre au soir, les membres de conseil de la ville ont ainsi tranché : à 25 votes contre 20 (et 2 abstentions), l’abandon d’OpenOffice a été validé, confirmant du coup un plan d’achat de licences Office 2010.

Fribourg a décidé d’adopter une stratégie tournée vers les logiciels libres et les standards bureautiques ouverts en 2007. L’objectif était alors de généraliser à l’ensemble des administrations de la ville et de leurs prestataires le format ODF et d’installer progressivement la suite bureautique OpenOffice comme plate-forme standard. Cette politique fut alors votée dans le cadre d’une résolution. Mais selon le conseil de la ville, les objectifs de cette politique n’auraient tout simplement pas été remplis, et le plan de migration s’est avéré peu productif.

Le conseil de ville de Fribourg pointe notamment l’un des problèmes majeurs de ce type de migration : l’incompatibilité entre les mondes ODF et OpenXML et l’omniprésence de Microsoft Office dans les agences gouvernementales. Ce qui fait de la suite du premier éditeur mondial le standard de fait dans les échanges documentaires. Pour répondre à cette problématique – et comme le font la grande majorité des administrations dans ce cas – il a été décidé d’installer un tandem Office / OpenOffice sur les postes de travail sujets à ces échanges. Seulement voilà : ce tandem, rapporte le conseil de la ville, serait contre-productif. Nonobstant les problèmes de compatibilité, il conduirait à complexifier le dispositif informatique pour les départements IT et créerait de la frustration chez les utilisateurs.

Parmi ces frustrations, on retrouve ainsi des dégradations de documents lors de conversion de Powerpoint vers l’outil de présentation OpenOffice, ou encore des performances inférieures chez OpenOffice, comparées à Microsoft Office (notamment au niveau du tableur). Ainsi 80 % des tâches liées au traitement de texte seraient réalisables dans la suite libre, mais ce taux serait bien moins élevé en ce qui concerne les opérations liées au tableur et à l’outil de présentation.

Sans parler des coûts induits, évidemment. Ainsi, révèle ce jour la ville sur son site Web (en Allemand), la bascule vers OpenOffice a fait économiser quelque 800 000 euros en licences, montant ré-investi en grande partie dans l’installation d’OpenOffice (coûts estimés par les experts à 730 000 euros). Surtout, la perte d’efficacité depuis le passage à la double interface Office / OpenOffice est évaluée à 2,5 millions d’euros (!). Le projet d’achat de licences Microsoft, formation et intégration comprise, est quant à lui estimé à 900 000 euros.

Une incompatibilité trop longue à résoudre

 

Ces problèmes d’incompatibilité ne constituent pas une nouveauté dans les migrations vers une suite bureautique libre. D’ailleurs plusieurs équipes IT de villes allemandes et suisses – dont la ville de Fribourg –  avaient décidé de se réunir au sein d’un groupe de travail (au sein de l’Open Source Business Alliance) pour résoudre ce problème. Ce groupe de travail avait conduit en février 2012 à la publication d’une spécification baptisée « Precise reproduction of OOXML documents in Open Source Office applications », dont l’objectif même était d’améliorer le filtre OOXML dans les suites bureautiques libres comme LibreOffice ou OpenOffice pour favoriser l’interopérabilté. Un effort mené visiblement en vain, du moins pour Fribourg. Le canton de Soleure en Suisse, la ville de Bristol en Grande-Bretagne, ou encore le ministère des Affaires étrangères en Allemagne sont autant d’exemples de rétropédalage vers un environnement Microsoft.

 

Levée de bouclier du Libre

 

Pour la communauté du Libre en Europe, c’en est trop. Et cette décision de la ville de Fribourg a ainsi provoqué une levée de bouclier chez les défenseurs du Libre outre-Rhin. L’Open Source Business Alliance ainsi que la Free Software Foundation Europe (en Allemand), accompagnés de l’Association of Information and Communication Technology, The Document Foundation (en Allemand) et du Free Office Germany, sont rapidement montés au créneau, cherchant à inverser le vote du conseil de la ville, qui semblait déjà acté. Fribourg avait en effet fait part de ses intentions en mai dernier, suite à un audit mené par un expert.

Pour ces 5 associations, l’argumentaire de la ville de Fribourg ne tient pas la route. Comme l’écrit la Free Software Foundation Europe dans sa lettre ouverte, les exemples de villes germaniques ayant reussi leur migration existent bel et bien – alors que le conseil de la ville prétendait que les suites libres n’avaient pas convaincu les administrations -, citant notamment Munich, Leipzig et Schwäbisch Hall, ainsi que des pays comme le Brésil, l’Italie ou l’Espagne. Autre argument : avec le support d’ODF en natif dans le prochain Office, cette incompatibilité de formats ne sera plus. L’association considère également que l’argumentaire évoquant l’absence de support de la version d’OpenOffice installée dans l’administration est fausse. Mettant alors en avant le dynamisme de la communauté outre-Rhin et de celle encadrant LibreOffice. D’ailleurs l’usage d’anciennes versions d’OpenOffice pourrait bien être la cause de cette absence d’interopérabilité, affirme en substance l’association.

 

Autant d’arguments qui n’ont pourtant pas pu faire basculer le vote. A condition que le budget soit voté, souligne une porte-parole de la ville chez nos confrères de Computerworld, la migration vers Office 2010 est programmée à la mi-2013. Restera alors un dernier point à aborder : quid des politiques d’achat des administrations européennes, censées mettre au même niveau solutions libres et propriétaires, voire privilégier le recours aux standards ouverts ? Selon nos confères du site JoinUp de la Commission européenne, le département juridique de la ville de Fribourg y travaillerait et aurait déjà écarté tout risque de frictions légales.

 

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