À quelle sauce les partenaires VMware vont-ils être mangés ? À mesure que le temps passe, il devient de plus en plus évident que Broadcom fera peu de cas de son exceptionnel réseau de partenaires. Les partenaires français ne se font pas d’illusions : une proportion importante d’entre eux – on parle de 80 à 90% – risque de ne pas être en mesure de satisfaire aux critères d’éligibilité du nouveau programme partenaires en gestation chez Broadcom, suite à la dénonciation le 23 décembre de tous les accords de partenariat en vigueur avec les revendeurs et prestataires de services VMware.

De fait, alors que Broadcom s’était montré rassurant jusque-là, les mauvaises nouvelles se succèdent pour les partenaires depuis la finalisation de l’acquisition de VMware pour 61 milliards de dollars le 22 novembre. Outre la fin des contrats de partenariat, l’éditeur a annoncé le 11 décembre, son intention de mettre fin aux licences perpétuelles. Et cette semaine encore, il a annoncé qu’il reprenait en direct les 2.000 premiers clients de VMware, rendant tout enregistrement d’opportunités sur ces comptes impossible pour les partenaires à partir du 4 février (voir article).

Dans ce contexte, les partenaires français ne cachent plus leur inquiétude. D’autant que Broadcom est resté jusqu’à présent extrêmement avare en informations. Ainsi, personne ne sait encore vraiment s’il sera invité au programme de partenariat appelé à remplacer celui de VMware et quels seront ses critères d’éligibilité. « Nous n’avons aucune date, aucune information. Même notre distributeur Arrow ne semble pas en savoir beaucoup plus à ce jour », déplore le CEO d’un intégrateur de Nouvelle Aquitaine. « On n’arrive même pas à obtenir des devis de renouvellement des licences existantes si la commande du client n’est pas prévue dans les 24h qui suivent », s’étonne pour sa part le patron d’un gros intégrateur alsacien.

Dans cet océan de flou, quelques quasi certitudes toutefois : les contrats existants s’arrêtent au 1er avril et il faudra recandidater à partir du 15 janvier pour espérer être repris dans le nouveau programme partenaires. Concernant le seuil d’achats annuel qui sera exigé pour être éligible, certaines sources chez VMware France évoquent en off le seuil de 500 K$ sur l’activité transactionnelle. Pour l’instant aucun seuil ne semble avoir été fixé pour les partenaires CSP français (fournisseurs de services cloud). Mais il se murmure que seuls une cinquantaine sur les quelque 260 actuellement homologués seraient invités à poursuivre leur collaboration contractuelle.

Broadcom a en revanche confirmé aux quelques – rares – partenaires conviés aux premiers séminaires de pré-présentation du nouveau programme que la fin des licences perpétuelles interviendra avant le 31 janvier et qu’il n’y aura pas de délai de grâce pour les renouvellements. Autre information : le mécanisme des protections d’affaires s’appliquera désormais différemment selon les lignes de produits. Les partenaires ont aussi appris que le mode de calcul des licences sera désormais basé sur le nombre de cœurs alors qu’il était jusqu’à présent basé sur le nombre de processeurs. Sur la partie CSP, le mode de calcul change aussi, en passant du gigaoctet de Ram VM hébergé au nombre de cœurs. Des changements de modèle qui impliqueront pour les partenaires de requalifier l’ensemble de leurs propositions en cours.

« Globalement Broadcom a surtout eu pour objectif de transmettre un message rassurant, en axant la communication sur la simplification, expose le directeur alliances et marketing d’un important hébergeur d’applications critiques francilien qui a participé à l’un de ces séminaires. Cela n’empêche pas que de nombreux partenaires sont inquiets quant à la suite de leur trajectoire dans le programme car l’enjeu financier est important pour ceux qui devront passer par un intermédiaire alors qu’ils achetaient jusque-là en direct. »

Autre inquiétude des partenaires : les augmentations tarifaires. De fait, tout le monde s’attend à une nouvelle augmentation substantielle des tarifs après la hausse d’environ 10% déjà appliquée en 2023. Une augmentation que Broadcom pourra justifier en invoquant, outre les changements de mode de calcul des licences, l’ajout dans le bundle de base des CSP de plusieurs produits (tels que Tanzu, HCX ou sa suite d’automatisation Aria). Des produits qui ne seront pas forcément utilisés par les clients mais que Broadcom veut pousser. « Nous sommes en fait dans une véritable prise d’otage », estime le CEO de l’intégrateur de Nouvelle Aquitaine cité plus haut, qui s’inquiète plus pour le budget de ses clients à court terme et moyen terme que pour son entreprise. Une situation qui rappelle à beaucoup les fâcheux précédents de Symantec ou Brocade.

« Les augmentations de prix à deux chiffres ne sont pas terminées », acquiesce ainsi Olivier Morel, directeur des alliances stratégiques et des partenariats du groupe Cyllene. Mais celui-ci y voit plutôt une opportunité : « Quelques très grands comptes nous ont déjà alertés et souhaitent que l’on monte des plateformes tests pour les aider à trouver des alternatives et migrer vers des environnements open source dans les prochaines années ». De fait, le groupe s’est engagé depuis deux ans sur les solutions alternatives open source de Proxmox/KVM pour ses offres d’hébergement. Une plateforme opérationnelle a ainsi été finalisée dès 2023 par son centre d’expertise Lillois et ses équipes datacenters parisiennes. Et, depuis les annonces de rachat de Vmware, il accélère pour migrer en priorité ses plateformes internes tout en conservant des sphères clients sous Vmware pour les clients contraints ou ceux qui veulent encore conserver cette technologie.

Mais Cyllene reste encore une exception et, pour beaucoup de partenaires, il apparait compliqué à ce jour de se projeter avec des technologies alternatives telles que AHV, KVM, Hyper-V ou liées aux constructeurs. « Les changements unilatéraux de politique commerciale, tarifaire et contractuelle de Broadcom n’y feront rien, prédit le directeur technique d’un des principaux revendeur français. Vmware est en situation de monopole et le restera encore longtemps. Quand on a la nécessité économique de rentabiliser 60 Mds il n’y a pas beaucoup d’alternatives. Broadcom est un champion et maitrise parfaitement le sujet : reprise des comptes en direct, augmentation des prix, suppression des intermédiaires (qui ont largement contribué au succès du produit)… Tout était écrit d’avance ! » L’avenir dira si les fournisseurs d’offres alternatives sauront profiter de la situation pour accroître leurs parts de marché. Mais en attendant, compte tenu de leur base installée, les partenaires eux devront nécessairement passer par les fourches caudines de Broadcom.