C’est assez inédit dans l’histoire de la distribution IT. Huit mois après le rachat de Symantec par Broadcom, la plupart de ses partenaires historiques restent totalement sans nouvelles de l’éditeur. Pour les partenaires concernés, cela se traduit notamment par un accès problématique à ses cotations (prix spéciaux sur les grosses affaires), par des mécanismes de renouvellements de licence dysfonctionnels et par des interlocuteurs aux abonnés absents. « Après le rachat par Broadcom, ça a été un gros bazar. Plus aucun grossiste n’a été en mesure nous adresser des cotations pendant six mois », déplore ainsi le PDG d’un gros partenaire français.

Des difficultés confirmées par l’un des grossistes de la marque en France. Dans une lettre envoyée à ses clients au début février, il écrivait : « Depuis l’annonce du rachat de Symantec par Broadcom […], [nous ne cessons] de faire face quotidiennement à de grandes difficultés […]. Pour mémoire, depuis le 1er octobre 2019 l’ensemble des services Symantec, qu’ils soient commerciaux, avant-vente, support technique, marketing ou encore channel, sont totalement injoignables ».

Un silence de mise jusqu’aux échelons les plus élevés de la société. Au moment où il envoie sa lettre, le grossiste explique ainsi n’être toujours pas parvenu « à obtenir de la part des dirigeants de Broadcom/Symantec une communication formelle et officielle […], malgré de très nombreuses relances au niveau national tout comme auprès de l’ensemble des pays européen avec lesquels nous sommes liés par un partenariat de vente des solutions Symantec. À ce jour, [nous restons] malheureusement dans l’incapacité de vous apporter une vision précise sur les éventuelles conditions de reprise de leur activité en condition normale ». Sollicité pour savoir si la situation avait évolué depuis, le grossiste en question n’a pas répondu. Mais, d’après les témoignages de revendeurs que nous avons réunis, il semble que la réponse soit non.

Du moins pour une grosse majorité d’entre eux. Car certains sont épargnés par ces difficultés. C’est le cas de la société Duonyx, un spécialiste de la protection de l’information. Sa cofondatrice, Caroline Desmarquest, confirme qu’il y a bien eu une période de turbulences liée à l’acquisition et à la fusion des équipes, mais que le contact n’a jamais été rompu et qu’à partir du début de l’année 2020, les cotations ont pu reprendre normalement.

À la faveur de ce témoignage, on comprend que Symantec a pu faire évoluer sa stratégie de distribution en se concentrant sur ses partenaires les plus engagés ou au potentiel le plus élevé au détriment de ceux qu’il considère comme opportunistes. Mais il semble toujours très compliqué d’obtenir une position officielle de Broadcom sur le sujet. Eric Gallas, Head of Enterprise Business & Area Leader France de Broadcom, qui nous a pourtant été présenté comme le responsable des partenaires en France – la plupart des postes de channel account manager ayant été apparemment supprimés – nous a fait savoir qu’il n’était pas habilité à communiquer pour Broadcom et que la stratégie partenaires n’était pas sous sa responsabilité.

Toujours est-il que, dans ce contexte, nombre de revendeurs ont choisi de migrer leur parc clients vers d’autres éditeurs, plus attentifs aux intérêts de leurs partenaires. C’est le cas de l’intégrateur qui nous expliquait être resté six mois sans accès aux cotations de l’éditeur : « nous sommes passés à la concurrence et franchement sans regret ». Malgré sa défection, ce partenaire reste référencé sur l’outil de localisation partenaires du site de Symantec. Du reste, plusieurs partenaires n’hésitent pas à déclarer que Symantec avait commencé à délaisser ses clients bien avant le rachat par Broadcom, ce qui les avait conduits à anticiper la recherche d’alternatives.

Parmi les bénéficiaires de cette vague de départs : Trend Micro, dont le directeur commercial France, Patrick Berdugo, remarquait il y a quelques semaines, sur la base des chiffres IDC, que Symantec avait enregistré une décroissance significative de ses ventes sur le marché français de la protection des points de terminaison en 2019. Et de constater que le phénomène de migration des partenaires s’accélérait depuis deux mois. En mars dernier, un autre acteur des logiciels et des services de cybersécurité, l’américain CrowdStrike, déclarait à CRN qu’un nombre important de partenaires Symantec le ralliait « soucieux de protéger leurs clients » dans un contexte « d’abandon [par Symantec] de larges segments de marché ».