Un an après avoir tiré le signal d’alarme, le Cigref reste extrêmement critique vis-à-vis des pratiques, notamment commerciales, des grands éditeurs de logiciels. Lors d’une conférence de presse consacrée relations entre les grandes entreprises et administrations publiques et leurs fournisseurs de services numériques qui s’est tenue le 24 juin dernier, le Cigref a fait le constat que les pratiques illégitimes de certains grands fournisseurs perduraient et ont appelé ces derniers à revenir à un modèle d’affaires équilibré et aligné sur la valeur réelle de leur prestation. Parmi les fournisseurs explicitement visés par le Cigref : AWS, Google, Microsoft, Oracle, Salesforce et SAP.

Lors de cette conférence, le Cigref a notamment estimé que ces fournisseurs faisaient peser de manière disproportionnée sur leurs clients le coût de leur conversion au Cloud. « La force commerciale des fournisseurs adopte des comportements de « chasseur de prime », favorisés par un modèle de rémunération qui valorise davantage le « vendre plus » que le « vendre mieux », synonyme de conseil et de la valeur ajoutée pour le client », déplore l’association dans la synthèse publiée à la suite de cette conférence.

Les entreprises clientes dénoncent également les pratiques tarifaires de ces fournisseurs : contrat de support recalculé pour rester à coût constant, lorsque le nombre de licences baisse, bouquets d’offres, application de majorations en cas de réduction du volume de souscription ou de licences… « Le manque de clarté de certaines clauses contractuelles et de certaines métriques, interprétées à l’avantage des fournisseurs, contribuent à accentuer cet effet cliquet », poursuit le Cigref. Ce dernier note également qu’ « un nombre grandissant de sociétés dénoncent la marchandisation de la sécurité par les fournisseurs qui préfèrent faire du Security by design une option payante plutôt que de l’intégrer nativement à leur service ».

« Le modèle d’affaires des grands éditeurs est au service d’une stratégie court-termiste de rentabilité pour rémunérer les actionnaires, fustige le Cigref. Leurs fortes ambitions de croissance conduisent à des modèles de commercialisation déconnectés des besoins des clients et de la valeur réelle des services, et de l’enjeu de sobriété numérique. Ces modèles d’affaires s’appuient en effet sur la reconnaissance de revenu et des stratégies d’obsolescence logicielle programmée, d’achats non souhaités, de double fonctionnement… au détriment de la valeur du service (par exemple, SAP ECC vs S4/HANA et sur Microsoft Windows et Office). »

Autre pratique contestée : celle consistant à approcher directement les directions métiers et à contourner les équipes de la DSI, avec comme conséquences : le développement du shadow IT, la complexification de l’urbanisme et des architectures IT, et l’inflation des budgets IT.

La grogne porte également sur le cadre contractuel. « Nombre de fournisseurs ne satisfont toujours pas aux exigences légitimes des grands groupes sur le plan contractuel et opérationnel en matière de RGPD », regrette le Cigref. Celui-ci souligne notamment l’existence d’un désaccord entre les entreprises utilisatrices et leurs fournisseurs sur l’interprétation de la conformité au RGPD. « Les clients sont contraints de travailler avec les contrats standards des fournisseurs mais sont seuls responsables des erreurs de leurs sous-traitants ». Les clients dénoncent notamment « des négociations excessivement longues (de 6 à 18 mois) et consommatrices en ressources » qui les placent « dans une boucle de négociation perpétuelle avec leurs fournisseurs ». Les clients regrettent que les contrats proposés par les fournisseurs « s’apparentent davantage à des contrats d’adhésion qu’à des contrats de souscription de services ». Enfin, « dans un contexte de multiplication de textes régulant les données entre l’Europe et les Etats-Unis, qui maintient les entreprises dans un climat d’insécurité juridique », les réponses apportées depuis un an par les fournisseurs concernant le Cloud Act sont jugées « insatisfaisantes » par les membres du Cigref.

Dans ce contexte, le Cigref alerte le marché « sur les problématiques de distorsion de concurrence liées à certaines pratiques contractuelles et ou commerciales comme les bundles qui s’apparentent à de la vente liée », ou le « droit de bouchon » sommes réclamées par certains grands fournisseurs pour interconnecter les services de fournisseurs tiers et permettre aux clients d’accéder à leurs propres données. « Le licensing inventif des fournisseurs et certains modes de souscription (indicateurs de performance corrélés au taux d’attrition, retour au prix catalogue en cas de baisse de volume) sont des outils de verrouillage du marché : le client est fidélisé de force et les compétiteurs sont maintenus à distance. C’est pourquoi les questions relatives à l’interopérabilité des services, la réversibilité et la transférabilité des données d’un cloud à un autre, occupent toujours une place majeure dans les discussions clients/fournisseurs », expose le Cigref.

Et d’en conclure que « les grands éditeurs de logiciels et fournisseurs de services cloud, majoritairement américains, réalisent une ponction sur la création de richesse en France et en Europe, non compensée par une création de valeur pour le business de leurs clients. Cette ponction se fait au détriment de la capacité d’innovation et d’investissement de nos acteurs économiques, et donc de la croissance, de la création d’emploi et de la fiscalité nationale. »