Jusqu’ici les moyens techniques étaient plutôt orientés sur les moyens. Avec l’intelligence artificielle, on est en face d’un nouveau défi où des logiciels et les machines qu’ils animent peuvent faire mieux et plus vite ce que font les humains.

La disruption[1] est un des maitre-mot de ces dernières années qui exprime l’idée d’un changement radical et rapide grâce auquel de nouvelles entreprises qui peuvent surgir de nulle part, bouleverser des situations existantes et s’imposer comme de nouveaux acteurs majeurs. Les porte-drapeaux de cette révolution basée sur les technologies s’appelle Uber, Airbnb, Blablacar, Lyft, Amazon… Ils sont connus et largement médiatisés. Le premier d’entre eux a même été sacralisé en donnant naissance au nom commun d’ « uberisation[2] ». Certains secteurs comme la musique, les voyages, les transports, l’hôtellerie sont touchés depuis de nombreuses années. Des entreprises comme l’hôtelier Accor (qui ont lancé leur plan numérique fin 2014 : Accor fait sa révolution numérique) doivent subir l’effet triple lame selon l’expression de Patrick Hoffstetter, Chief Digital Officer, Renault à l’occasion de la présentation sur l’évolution numérique des entreprises (2e baromètre transformation digitale de CSC – Digital : urbi et orbi !) avec la pression : TriAdvisor, Booking.com et Airbnb en étant attaqué sur plusieurs fronts à la fois.

« Les dirigeants d’entreprise savent qu’ils doivent se préparer à un avenir dans lequel la “disruption” causée par des compétiteurs externes à leur secteur ou leur industrie qui deviennent des concurrents majeurs », commente Peter Korsten, Global Leader en marge de l’enquête que vient de publier IBM intitulée “Redefining Competition: Insights from the Global C-suite Study – The CEO perspective” réalisée par IBM. « Les dirigeants sont conscients de ce phénomène et 60 % d’entre eux partagent cette idée alors qu’ils n’étaient que 50 % en 2013 ».

« Pour contrer ce phénomène, nous avons deux options : la première est d’épouser cette tendance et e prendre le risque de jouer un rôle critique ; la seconde est d’améliorer notre compétitivité de manière continue », considère Oki Matsumoto, CEO de Monex Group. Selon l’enquête d’IBM, les dirigeants d’entreprises les plus dynamiques seraient plus orientés vers l’innovation de rupture. Ils cherchent à réinventer leur entreprise plutôt que de proposer de simples nouveaux produits et services. Evidemment dans cette rupture ou, a minima cette évolution radicale, les technologies jouent un rôle majeur. Depuis 2012, dans les différentes éditions de l’enquête IBM, les technologies sont considérées comme le premier facteur ayant le plus d’influence sur leur entreprise. Cela semble assez logique et pourtant c’est relativement nouveau. En 2004, le facteur technologies arrivait seulement en 6e position derrière les facteurs du marché, la réglementation, les facteurs macro-économiques, l’expertise des employés et les facteurs socio-économiques.

Mais dans ces différentes vagues technologiques, l’informatique cognitive devrait marquer une rupture dans la rupture, en quelque sorte. De fait, cette nouvelle discipline est cité comme la deuxième force de changement dans les 3 à 5 années à venir pour les dirigeants interrogés dans l’enquête d’IBM juste derrière le mobile, mais devant l’Internet des objets et le cloud. Evidemment, le premier étage de cette fusée d’informatique cognitive est constitué d’une analyse intelligence des données sous l’appellation big data et analytics dont l’idée est de donner du sens aux informations collectées de tous les côtés.

Dans une conférence donnée à Télécom ParisTech, Jérome Pesenti, vice-président, Core Technology, chez IBM Watson, qui travaille sur le sujet depuis 20 ans, confirme l’accélération importante de ces cinq dernières dans les capacités des systèmes, en particulier grâce aux réseaux neuronaux de grande échelle (voir la vidéo ci-dessous). Cela grâce à une nouvelle approche qui s’appuie beaucoup plus sur les méthodes statistiques et non une tentative de copier l’intelligence humaine. Cela se traduit dans de nombreux domaines comme la reconnaissance vocale, d’images. Les captchas par exemple qui avaient été conçus pour être sûrs que l’utilisateur est un humain et non une machine sont désormais décrypté beaucoup mieux par les machines que par les humains. Au niveau de la reconnaissance de classes d’images, le taux d’erreur avant l’utilisation des réseaux neuronaux était de 28 % ; aujourd’hui, il est de 6 % et se rapproche de ce que les humains font de mieux. Au niveau de la reconnaissance vocale, le taux d’erreur est de 8 % et se rapproche là aussi de ce que font les humains.

A partir de ces données, les systèmes cognitifs seront capables soit de prendre en charge de nombreuses tâches assumées par les humains ou soit de les assister et de donner tous les éléments pour une prise de décision optimale.

Dans un rapport récent, le cabinet 451 Research (What’s driving machine learning, and where is it taking us?) liste des exemples d’applications très variées d’utilisation de ces nouvelles technologies. Une liste qui devrait s’allonger à grande vitesse dans les mois à venir, entre autres : Sales funnel forecasting, Retail price optimization, Predictive analytics, Automatic topic generation for mobile collaboration, Cross-device targeted advertising, Search-based analytics, Programmatic advertising, Behavior analytics in security, IT monitoring, Mobile application security, Mobile customer engagement, Cloud infrastructure management. Et la liste est loin d’être close.

Tout ceci nous amène à poser la question : les machines vont-elles remplacer les hommes dans la majorité des tâches qu’ils accomplissent ? Ce qui amène à la question encore plus fondamentale que pose dans sa présentation (voir ci-dessous) Moshe Vardi, professeur à l’université Rice (Texas) à l’occasion de l’Ada Lovelace Symposium – Celebrating 200 Years of a Computer Visionary organisé par l’université d’Oxford en décembre dernier : « Si les machines sont capables d’accomplir presque toutes les tâches, que feront les humains ».

La semaine dernière, le même Moshe Vardi déclarait à l’American Association for the Advancement of Science (AAAS) : « Nous approchons le moment où les machines seront capables de faire mieux que les humains dans presque toutes les tâches ». Une voix qui s’ajoute à celle de centaines de scientifiques l’année dernière parmi lesquels Stephen Hawking (Contrôler les risques de l’intelligence artificielle). Dans ce débat qui n’est pas nouveau entre les ardents défenseurs du progrès et ceux qui le redoutent, voire le combattent. Une division en deux camps que l’on retrouve chez les scientifiques comme chez les économistes.Les premiers nous rappellent que depuis les débuts de l’Humanité il y a eu cette friction entre l’homme et la machine entraînant la destruction d’emplois mais aussi la création. Les seconds pensent, non sans raison, que, cette fois, c’est différent.

Et Moshe Vardi résume les progrès accomplis ces dernières années par les machines. Et non sans humour, le professeur de Rice University rapporte cette conversation que pourraient avoir deux chevaux au début du siècle dernier voyant l’arrivée des premières automobiles. Le premier s’inquiète que ces nouvelles venues vont être amenées à les remplacer et à supprimer leur utilité, le second lui explique qu’on trouvera bien d’autres choses à leur faire faire. L’avenir de cette conversation fictive est connu.

Un avenir plutôt sombre qui est dans l’air du temps et  que brosse actuellement la série Trepalium que diffuse la chaîne Arte présentant une société réellement apocalyptique divisée en deux avec, d’un côté, les actifs moins de 20 % de la population – qui en fait accomplissant des tâches totalement inintéressantes puisque, en filigrane, tout est automatisé et, de l’autre, les zonars qui deviennent des solidaires qu’ils ont été tirés au sort pour des travaux non pas d’intérêt général mais d’intérêt particulier. Bref une vision de la société qui fait plutôt froid dans le dos. Heureusement que le réchauffement climatique peut élever un peu la température !

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[1]
Etonnant que cet anglicisme se soit imposé alors qu’il existe autant de mots français qui exprime toutes les nuances possibles à commencer par rupture mais aussi affolement, agitation, altération, branle-bas, cataclysme, catastrophe, chambardement, chamboulement, changement, chaos, choc, commotion, confusion, convulsion, dérangement, dérèglement, désordre, ébranlement, émoi, émotion, incendie, modification, perturbation, ravage, remue-ménage, renversement, révolution, ruine, secousse, séisme,

[2] « Tout le monde commence à craindre de se faire Uberiser. C’est l’idée qu’on se réveille soudainement en découvrant que son activité historique a disparu… Les clients n’ont jamais été aussi désorientés ou inquiets au sujet de leur marque et de leur modèle économique » avait déclaré Maurice Lévy fin 2014 dans un entretien au FT.

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