Qu’on se le tienne pour dit : le Syntec Numérique n’est plus favorable au contrat dit « de chantier » ou « de projet ». Un contrat dont le gouvernement prévoit pourtant d’étendre le champ d’application à de nouveaux secteurs dans le cadre du projet de loi d’habilitation*, actuellement examiné en première lecture à l’Assemblée nationale dans le cadre de la réforme du code du travail. Aujourd’hui réservé à certains secteurs (bâtiment, études et conseil…) mais peu utilisé, ce contrat de projet est un contrat à durée indéterminée mais dont la rupture est elle prédéterminée par la fin du projet sur lequel le salarié a travaillé.

Les sociétés de services informatiques sont souvent présentées comme favorables à ce type de contrat. En 2015, Silicon rappelait ainsi que dans les années qui ont suivi l’éclatement de la bulle Internet, le Syntec Informatique (l’ancêtre du Syntec Numérique), avait tenté d’imposer en vain un contrat de mission aux caractéristiques comparables censé leur permettre de licencier plus facilement leurs ingénieurs à l’issue de leur mission afin d’éviter de trop longues périodes d’intercontrat. Le sujet était revenu sur la table en 2012 dans le cadre des négociations sur la sécurisation de l’emploi. Sans plus de succès.

Le Syntec Numérique favorable à un contrat plus flexible…

Mais au début de l’année, le Syntec Numérique revenait à la charge en se déclarant prêt à expérimenter « un nouveau contrat de travail, plus flexible, incluant des critères objectifs de rupture », expliquait Silicon dans un article titré : Présidentielle 2017 : le Syntec Numérique déterre un contrat de mission revisité. Son président, Godefroy de Bentzmann, se déclarait même prêt à aller « jusqu’à des clauses associant la continuité d’un contrat de travail à la poursuite d’une prestation donnée, assurée par un prestataire auprès d’un client ».

Vœu exaucé par le gouvernement qui a donc inscrit ce contrat de projet dans son projet de loi d’habilitation. Cité par LeMonde.fr dans un article du 26 juin, le Premier ministre Edouard Philippe, a même pris en exemple le secteur informatique pour expliquer l’intérêt de ce contrat : Il s’agit d’un « instrument intéressant », a-t-il commencé. Plus intéressant, même, qu’un CDD car « cela maintient le CDI comme la norme ». […] quand vous refaites une architecture informatique, c’est un projet qui peut durer six mois ou trois ans et demi, ou cinq ans. On peut imaginer que cela fasse l’objet de ce type de contrat de projet ».

… mais pas au contrat de projet, jugé complexe et peu susceptible de créer de l’emploi

Mais là, patatras ! Contacté par nos soins pour expliquer tout le bien qu’il pense de ce contrat et en détailler les avantages et inconvénients pour les employeurs et les salariés, Godefroy de Bentzmann se montre tout à coup beaucoup plus circonspect. « Ce contrat de projet n’est pas une priorité du Syntec Numérique. Ce sujet est arrivé sans que le Syntec Numérique l’ait demandé ». Et d’ajouter : « Je n’ai vu aucune appétence de nos adhérents pour ce contrat ». Explication : « dans un secteur où la problématique est le recrutement, l’amélioration des cursus scolaires [mais aussi] l’inadaptation du droit du travail à manière de travailler, ce contrat ne créera pas d’emploi et va introduire un supplément de complexité ».

De fait, en cette période de pleine activité, la problématique des sociétés de services n’est pas de se séparer de ressources surnuméraires mais bien de trouver des compétences qualifiées. Quitte à recourir à des travailleurs indépendants. Une population apparemment en pleine expansion, selon Godefroy de Bentzmann qui estime à 15% le pourcentage de ces travailleurs non salariés intervenant actuellement pour les entreprises du numérique. « Dès qu’une personne acquiert une spécialité représentant une certaine valeur sur le marché, elle opte pour le statut d’indépendant, souligne Godefroy de Bentzmann. Certains travaillent ainsi avec trois employeurs simultanément. »

La priorité est à la sécurisation des travailleurs de plateformes et des indépendants

Cette recrudescence va de pair avec la montée en puissance des plateformes de type Uber. « Le marché du travail va passer de plus en plus par ces plateformes, anticipe le patron du Syntec Numérique. De nombreux métiers vont ainsi se « plateformiser ». Ce qui impose de « sécuriser le statut de ces travailleurs non salariés en leur donnant plus de garanties » – ce à quoi semble vouloir s’atteler le gouvernement – mais également en donnant plus de garanties aux employeurs. Notamment vis-à-vis de l’URSSAF, qui a tendance à « considérer que ces travailleurs font partie de nos sociétés et à réclamer les charges associées ». Mais aussi vis-à-vis du « risque de requalification » de ces travailleurs en salariés, comme ces derniers pourraient être tentés de le faire si le marché se retournait. « Plus ce sera clair dans la loi, plus le marché du travail sera fluide, plus on créera d’emplois », assure Godefroy de Bentzmann.

L’autre sujet prioritaire du point de vue du Syntec Numérique est d’adapter le droit du travail à l’évolution des manières de travailler du secteur du numérique. Notamment en matière de temps de travail. « Débrancher les serveurs la nuit comme certains de nos adhérents le font pour empêcher que les salariés dérogent au droit à la déconnexion ou redresser des entreprises pour non respect des 11 heures consécutives de repos, ne vas pas dans le sens de l’autonomisation et de la responsabilisation des salariés », regrette Godefroy de Bentzmann, qui préconnise un alignement sur les usages européens.

*C’est ce projet de loi qui doit notamment acter le principe de la réforme du code du travail par ordonnances ou de barémisation des indemnités prud’hommales