Le président du Syntec Numérique, Godefroy de Bentzmann, revient pour Channelnews sur les principaux enseignements du baromètre que l’organisation professionnelle a consacré aux conséquences de la crise sur ses adhérents. Au-delà du recours massif au chômage partiel, il constate une forte montée des interruptions de mission par la mise en congés imposés et des tentatives inquiétantes de renégociation des prix de la part de certains clients. La question du redémarrage de l’économie s’impose comme une préoccupation majeure.

Channelnews : Le Syntec Numérique a récemment livré les conclusions d’un baromètre réalisé fin mars-début avril auprès de ses adhérents sur leur perception de la crise. Quels sont les principaux enseignements de ce premier baromètre ?

Godefroy de Bentzmann : D’abord, Je voudrais souligner que les 166 réponses que nous avons eues pour ce baromètre sont assez représentatives de nos adhérents grands et petits avec notamment 60% d’ESN. Au 7 avril donc, date limite pour la prise en compte des réponses, on peut déjà constater que les trois quarts des répondants anticipent déjà une baisse de leur chiffre d’affaires prévisionnel sur le deuxième trimestre 2020 (en moyenne de -22,9%) et qu’une forte proportion d’adhérents (66%) a déjà recours au chômage partiel. On voit que ce sont essentiellement des ESN qui sont concernées par la baisse d’activité et qui se saisissent du chômage partiel. À l’inverse, ceux qui n’anticipent pas de baisse d’activité au deuxième trimestre sont plutôt des éditeurs ou des ESN orientées exploitation/infogérance. Cela tient au fait que les éditeurs doivent continuer à exploiter leurs solutions et à faire tourner les infrastructures qui les hébergent (le SaaS représentant désormais plus de 50% de leurs facturations).

Channelnews : Quelle est la proportion des salariés en activité partielle ?

Godefroy de Bentzmann : L’activité partielle concerne déjà 68.000 salariés, soit environ 13% des effectifs du secteur en équivalent temps plein – en réalité les salariés concernés sont plus nombreux car beaucoup sont à 50% ou 70% de chômage partiel. Du reste, la proportion devrait s’accentuer dans le prochain sondage (prévu le 25 avril) car beaucoup de demandes n’ont pas encore été prises en compte ou n’ont pas été finalisées par les entreprises en raison de la complexité du processus. L’Etat ne souhaitant pas payer pour les intermissions – ce qui est normal – il faut prouver que la personne n’a pas été en intermission plus de trois mois au cours des six derniers mois. Ce qui implique de remonter loin en arrière dans l’historique d’activité des salariés. Et il demeure encore des points litigieux, notamment sur les périodes d’essai.

Channelnews : Avez-vous déjà constaté des licenciements ?

Godefroy de Bentzmann : C’est un sujet tabou. On n’en a pas noté jusqu’à présent. Il faut dire que les entreprises sont un peu sous morphine actuellement avec ces mesures d’activité partielle. On suppose qu’une partie des périodes d’essai ont été arrêtées.

Channelnews : Constatez-vous des défauts de paiement ou des allongements des délais de paiement de la part des clients ?

Godefroy de Bentzmann : Ce n’est pas quelque-chose que nous avons mesuré dans ce premier baromètre mais le problème des délais de paiement a été remonté au cours de nos webinars hebdomadaires. Toutefois, les délais de paiements ne sont pas le problème majeur rencontré par les adhérents. On voit surtout une forte montée des mises en congés imposés. Les clients voudraient que nous mettions d’office nos salariés en congés pour deux ou trois semaines. Pour les clients, cela revient à arrêter les projets en se gardant la possibilité de les relancer quand ça les arrange. Mais on ne peut pas imposer cela à nos collaborateurs. Ils sont réticents à l’idée de sacrifier d’emblée leurs congés d’été – même si personne ne sait encore s’ils pourront être pris.

On voit également, et c’est plus grave, des tentatives de renégociation des prix de la part de certains clients. Ce n’est pas acceptable. On sait très bien qu’une fois baissés, les prix ne remonteront pas. Ce genre de comportement cavalier, c’est ce qui nous a poussé à publier dès le 25 mars, conjointement avec le Cigref, une charte de six principes de relations contractuelles à mettre en œuvre en temps de crise. C’est en quelque sorte un appel à la responsabilité. On y énumère un certain nombre de principes de solidarités et de comportements qu’il est souhaitable d’adopter en cette période. Cette charte vise notamment à rappeler aux clients qu’ils se mettent eux-mêmes en danger et auront beaucoup de mal à redémarrer s’ils ne font pas en sorte que l’écosystème IT tienne le coup.

Channelnews : Vous notez dans votre baromètre que près d’un dirigeant sur deux (46%) exprime son inquiétude quant à la pérennité de son entreprise si la reprise de l’économie ne se fait pas à un rythme normal dans les trois mois. Que faut-il en penser ?

Godefroy de Bentzmann : Le redémarrage de l’économie, c’est l’un des principaux sujets d’angoisse des adhérents. Chacun comprend qu’on ne va pas repartir dès la sortie du confinement sur les niveaux d’activité que nous avions encore en février-mars. On sait notamment qu’il y aura probablement un effet de ciseaux entre le début de l’été et Noël. Certains secteurs comme l’aéronautique mettront des années avant de repartir. Or, la plupart des entreprises ont des trésoreries fragiles. Un cabinet de conseil d’une vingtaine de consultants a besoin de 3 à 4 mois de chiffre d’affaires en fonds de roulement pour fonctionner correctement. Malgré les différents mécanismes mis en place par le gouvernement (prêts garantis, reports de charges fiscales et sociales…), beaucoup s’inquiètent de ne pas avoir les moyens de redémarrer et de ne pas avoir suffisamment d’activité au redémarrage.

Channelnews : Dans ce contexte, quelles sont les actions du Syntec Numérique pour aider ses adhérents ?

Godefroy de Bentzmann : Le Syntec Numérique est très actif actuellement. Nous organisons notamment de nombreux webinars pour aider les adhérents sur le chômage partiel, les reports de charges, le crédit-impôt recherche… Ces webinars rassemblent couramment 50 à 100 participants. Les adhérents ont besoin de savoir comment vivent les autres. Notre hotline SVP Social enregistre également une forte recrudescence d’activité et s’est enrichie sur beaucoup de sujets. Notre plateforme https://covidsyntecnumerique.fr/ qui recense les initiatives des acteurs du numérique présents sur le territoire français qui apportent des solutions concrètes et opérationnelles pour mieux gérer la situation de crise entraînée par le Covid-19 connaît également un succès important avec plus de 500 visites par jour. Enfin, en lien avec le Cigref et les autres métiers de la fédération Syntec, nous réfléchissons à un plan de relance pour le secteur que nous présenteront au gouvernement début mai.