Trois ans après leur rachat par Capgemini, les collaborateurs d’Artesys dressent un bilan catastrophique de l’opération. Le chiffre d’affaires serait en chute libre et la société aurait été vidée de son expertise.


En 2011, Capgemini rachetait pour 28 M€ en cash la société de services d’infrastructures Artesys et ses 130 salariés avec comme ambition d’en faire le bras armé de sa nouvelle ligne de services Infrastructures transformation services (ITS). Spécialiste de l’ITSM et de la supervision de gros systèmes d’information – et à ce titre l’un des principaux partenaires de BMC Software et HP Software en France, Artesys devait opportunément compléter l’activité d’infogérance (outsourcing services) de Capgemini. Accessoirement, Artesys devait lui insuffler de son dynamisme.

Mais alors que l’entreprise était en forte croissance au moment de son rachat, dégageait 10% de résultat d’exploitation annuel et affichait un turnover de moins de 3% par an, elle semble avoir depuis perdu de sa maestria. En trois ans, les pertes se sont accumulées, le turnover a explosé et le chiffre d’affaires a fortement reculé (il aurait été divisé par trois).

Le choc des cultures

Alors que s’est-il passé ? La greffe n’a pas pris, euphémise un ancien salarié. « On nous avait vendu un projet dans lequel nous devions réveiller l’équipe de Cap Gemini Outsourcing en lui inculquant nos méthodes commerciales, notre écoute du client, notre culture projet et notre inclinaison pour l’innovation ». En pratique, c’est l’inverse qui s’est produit. « Des cadres de Capgemini ont été placés aux postes clé et se sont évertués à nous faire rentrer dans un modèle qui n’était pas le nôtre », renchérit un salarié toujours en poste.

« Capgemini nous a imposé ses process sans comprendre notre modèle économique, reprend le premier. Par exemple, alors que nous travaillions au forfait et que nous regroupions dans un même package les coûts de licences, les infrastructures et les prestations intellectuelles, Capgemini a souhaité dès le départ se recentrer sur la composante services facturée en jour/homme et abandonner les autres prestations. Résultat, les clients en ont profité pour négocier les tarifs et la marge s’est écroulée ». Des marges d’autant plus sous pression que la composante ITSM, qui se retrouve souvent noyée dans de très gros projets, a tendance à jouer le rôle de « variable de négociation, vendue à prix coûtant », constate un autre ex-salarié.

Autre exemple : « Capgemini a tout de suite supprimé la veille technologique alors que la chasse à la dernière techno était l’un des ingrédients à la base de notre succès ». Résultat : les « sachants », ceux qui portaient l’expertise technologique de la société, ont été les premiers à quitter l’entreprise. Souvent pour rejoindre la concurrence. Le blocage des salaires et la suppression de certains avantages hérités d’Artesys (tickets restaurants, primes…) n’ont pas contribué à les retenir. « Certes, les départs ont dans l’ensemble été remplacés mais le compte n’y est pas en termes d’années d’expérience », souligne un salarié.

Un contentieux juridique avec les ex-actionnaires

Pour ne rien arranger, les anciens actionnaires sont partis au bout d’un an en claquant la porte après que l’acheteur ait refusé de leur verser le complément de prix prévu au contrat. Argument invoqué : les résultats n’étaient pas au rendez-vous. Mais, selon les ex-actionnaires, cette chute des résultats s’explique par le fait que Capgemini a changé sa méthode de comptabilisation des revenus en chemin. Une décision qui a également porté préjudice aux salariés qui n’ont pas perçu leur participation. Après une procédure d’arbitrage infructueuse, l’affaire vient d’être portée devant les tribunaux.

Au final, l’un de ces ex-salariés estime que Capgemini n’est tout simplement pas organisé pour racheter une PME. « C’est un groupe piloté par des processus alors que nous étions dirigés par des hommes. Capgemini n’était pas prêt à nous laisser notre autonomie et nous n’étions pas préparés à basculer dans un fonctionnement de grande entreprise. » « Capgemini est une société de Run qui a voulu faire du build. Sur le papier, c’était une bonne idée. Mais en pratique, ça n’a pas marché », conclut pour sa part l’un des ex-actionnaires.

Sollicité pour apporter sa version des faits, Capgemini n’a pas répondu pour l’instant.