Marc Devillard, patron de l’éditeur d’outils collaboratifs Motivation Factory, s’insurge contre ceux qui annoncent la mort de l’e-mail pour mieux faire passer les réseaux sociaux d’entreprise pour un progrès.
Channelnews : Vous venez de lancer un pavé dans la mare en publiant une tribune intitulée « pourquoi l’email va survivre et les réseaux sociaux sont déjà morts ». Faut-il prendre cette assertion au pied de la lettre ?
Marc Devillard : Bien sûr que non. C’est une caricature pour montrer que c’est aussi idiot de dire ça que de prétendre, comme certains, que l’e-mail est mort. Je n’ai jamais reçu autant d’e-mails que depuis qu’il est prétendument mort. L’e-mail a été un progrès considérable par rapport au téléphone en introduisant la notion de communication asynchrone et la possibilité d’archivage. Il reste parfaitement adapté pour envoyer des messages à grande échelle et pour dialoguer entre deux personnes. En revanche, il ne l’est pas dès qu’il s’agit d’échanger à plus de deux. C’est pour améliorer cela qu’ont été inventés les outils collaboratifs, dont le premier représentant était Lotus Notes, qui permettent de créer des groupes de travail et de mettre en commun des documents. Ils se sont progressivement enrichis notamment avec la notion de portail introduite par SharePoint. Les réseaux sociaux en sont le dernier avatar. Mais le principe de base et les besoins auxquels ils répondent restent inchangés. Il n’y a pas de raison de les opposer.
Pourtant vous brocardez copieusement les réseaux sociaux dans votre tribune.
Marc Devillard : Oui car ceux qui défendent les réseaux sociaux d’entreprise présentent en général les outils collaboratifs comme rétrogrades. Or cette posture occulte le débat de fond. La montée en puissance des réseaux sociaux d’entreprise vient avant tout du succès de Facebook dans le grand public. Mais je ne suis pas du tout certain que Facebook soit adapté aux besoins des entreprises. La problématique pour les utilisateurs en entreprise est de savoir comment atteindre leurs objectifs en partageant des informations. Pas de perdre du temps à créer des liens sociaux avec des gens qu’ils ne connaissent pas. La réalité, c’est que les réseaux sociaux d’entreprise ont du mal à trouver leur place. On le constate souvent quand on arrive pour proposer nos propres outils. Il y a d’ailleurs des détails révélateurs : alors qu’ils disposent de plusieurs années de recul, leurs promoteurs continuent d’expliquer qu’il est difficile de mesurer le retour sur investissement. Et je ne parle pas des articles qu’on voit fleurir sur les moyens de coercition pour contraindre les collaborateurs à les utiliser.
Faut-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain ?
Marc Devillard : Je pense qu’au fond l’outil n’a aucune importance. Ce qui compte, ce sont les usages qui en sont faits, la capacité à faire travailler les gens ensemble et à animer la communauté. L’outil n’a jamais fait marcher le programme. Les facteurs de succès se situent dans la définition des objectifs, la méthodologie, l’implication des managers et la communication qui est faite autour de l’outil. En ce sens, on reste en plein dans le champ du collaboratif. Si ces aspects ne sont pas ou mal pris en compte, le réseau social d’entreprise s’essouffle rapidement. En revanche, si on attaque le projet par le côté business et qu’on sait y insuffler du rythme, ça fonctionne.
Marc Devillard est président de Motivation Factory, un éditeur de logiciels spécialisé dans les portails « d’innovation collaborative » et les outils de stimulation de force de vente. Diplômé de Polytechnique, Ponts et Insead, et après parcours aussi riche qu’éclectique – il a exercé chez McKinsey, chez Microsoft, notamment comme patron d’Office, ou encore comme capital risqueur – il décide de racheter Motivation Factory il y a dix-huit mois. « Une société rentable, dont les solutions tournent entièrement sur les technologies Microsoft et dont le cœur de métier est un sujet pour lequel je me passionne », justifie-t-il.