La transition écologique s’accélère et pourrait avoir un impact bien plus important qu’on le pense sur l’économie, prévient l’économiste Jean Pisani-Ferry dans Les Echos. Channelnews a demandé à Frédéric Bordage, fondateur du collectif d’experts en numérique responsable et sobriété numérique GreenIT.fr, de décrypter quel pourrait être l’impact de cette transition écologique sur le secteur IT du numérique. Entretien.

Channelnews : Dans un entretien aux Echos daté du 24 août, l’économiste Jean Pisani-Ferry (qui a élaboré le programme économique du candidat Macron) prévient que la transition écologique en marche pourrait avoir un impact bien plus important qu’on ne le pense sur l’offre et la croissance économique. Il explique qu’elle va induire une obsolescence accélérée d’une part importante des équipements et du capital et que le maintien du niveau de production actuel va nécessiter des investissements substantiels susceptibles de « remettre en cause l’équilibre actuel entre épargne et investissement, et donc peut-être le niveau des taux d’intérêt » et impliquant de « réallouer des ressources de la consommation vers l’investissement ». Que vous inspire cette position ?

Frédéric Bordage : Il est évident qu’on se trouve actuellement dans un processus de destruction créatrice à la Schumpeter. Dans le cadre de la transition écologique en cours, des modèles et des acteurs vont régresser, voire disparaître, et d’autres vont apparaître. Ce mouvement est par exemple déjà à l’œuvre dans le secteur du transport. Alors qu’on constate une baisse continue des ventes d’automobiles, le covoiturage est en plein essor. Est-ce que cette tendance est pour autant préjudiciable à l’économie ? Je ne suis pas économiste mais il me semble en tout cas qu’elle est plutôt profitable à l’humanité.

Channelnews : Quel pourrait être selon vous l’impact de cette transition écologique sur l’offre et la croissance du secteur IT en France ?

Frédéric Bordage : On réalise actuellement que les réserves rentables de certaines matières premières qui servent à construire les équipements numériques seront épuisés d’ici 30 à 40 ans. C’est le cas notamment de l’antimoine, de l’indium et même du cuivre ou de l’argent. Dans le secteur IT, la transition écologique devrait donc logiquement se traduire par un allongement de la durée de vie des équipements numériques. Le dernier baromètre numérique du Credoc met d’ores et déjà en évidence cette tendance en notant que près de 50% des Français seraient prêts à acheter un smartphone reconditionné. Cela signifie qu’il commence à y avoir une certaine appétence pour le numérique écoresponsable. Les quantités de matière disponibles étant limitées, les gagnants seront vraisemblablement ceux qui seront capables de générer plus de valeur à quantité de ressources numériques données. C’est là que la transition écologique dans le numérique rejoint les notions d’écoconception et d’économie immatérielle. L’innovation de demain va certainement consister à associer low tech et high tech.

Channelnews : Quels exemples pourriez-vous donner d’association low tech et high tech ?

Frédéric Bordage : Je pense au modèle de la startup toulousaine Weather Force spécialisée dans les prévisions pluviométriques. Pour réaliser ses prévisions elle a recours à un supercalculateur mais fait reposer leur diffusion dans certains endroits reculés sur une chaine d’individus. Un seul smartphone suffit ainsi pour transmettre ses prévisions à des dizaines de cultivateurs. Je pense également au programme Kdog de l’institut Curie à Paris, qui met l’odorologie canine au service de la détection précoce des cancers du sein et qui pourrait, en la combinant avec l’intelligence artificielle de Google Health, révolutionner les pratiques dans ce domaine.

Channelnews : Quels pourraient être les perdants de cette transition écologique dans le numérique ?

Frédéric Bordage : Les vendeurs de matériels neuf devraient être les premiers pénalisés à mon avis face aux acteurs du reconditionné. Cela pourrait être le cas des opérateurs qui tirent historiquement une partie substantielle de leurs revenus de la vente de produits neufs et dont le Credoc souligne le manque d’adhésion au numérique écoresponsable. Autres perdants potentiels dans le futur : ceux qui misent sur des solutions 100% numériques. Les villes intelligentes, les véhicules 100% autonomes charriant des gigabits de données à la seconde sont à mon sens des mythes. On arrive dans un monde où la ressource numérique va être de plus en plus restreinte et donc critique. Aujourd’hui essentiellement associé aux loisirs, le numérique va selon moi migrer vers un usage exclusivement professionnel à terme. On assiste déjà à des arbitrages douloureux entre les secteurs de la high tech et de l’automobile dans le contexte actuel de pénurie de semi-conducteurs.

Channelnews : Quel pourrait être l’impact de la transition écologique sur les prestataires numériques ?

Frédéric Bordage : Il est intéressant de constater que cette période de transition recèle d’importantes opportunités. C’est le cas pour les prestataires numériques à qui les entreprises demandent des plans d’action pour adresser leurs problématiques de numérique écoresponsable. Mais le marché a explosé si fort et si brusquement que la plupart des acteurs sont pris au dépourvu et qu’ils peinent à répondre.