La guerre entre Carl Icahn et le directeur général de Xerox Jeff Jacobson, qui dure depuis le mois de décembre, est montée d’un cran. L’actionnaire activiste, qui demandait jusqu’à présent le départ du CEO et le remplacement « de la vieille garde qui contrôle le conseil d’administration » de la société, a en effet publié avec un autre investisseur important, Darwin Deason, une lettre ouverte aux actionnaires de Xerox critiquant la cession avec Fujifilm Holdings et leur demandant de s’y opposer et de changer la direction de l’entreprise. « Nous vous exhortons, collègues actionnaires, à ne pas laisser Fuji nous voler cette entreprise », écrivent-ils, ajoutant que cette opération sous-évalue considérablement le constructeur américain et favorise tout aussi considérablement le fabricant japonais.
Fin janvier, Fujifilm annonçait qu’il allait prendre 51,1% de Xerox via la co-entreprise Fuji Xerox basée à Tokyo dans le cadre d’une opération de 6,1 milliards de dollars, laquelle se traduirait par ailleurs par la suppression de 10.000 emplois. L’accord prévoyait que Jeff Jacobson prendrait la direction d’un nouvel ensemble pesant 18 milliards de dollars de chiffre d’affaires.
Les deux hommes, qui détiennent ensemble 15,2% de Xerox, craignent de devenir de simples actionnaires passifs d’une filiale de Fujifilm. En revanche, ils estiment que Xerox, « une marque icône qui possède 12.000 brevets et des clients fidèles », a toutes les cartes en main pour s’imposer sur un marché de l’impression (services managés et centralisés d’impression, imprimantes multifonctions…) pesant 85 milliards de dollars, à condition de changer de management. « Il y a encore pour nous d’énormes opportunités à engranger de la valeur par nos propres moyens si nous lui apportons le bon leadership », concluent Carl Icahn et Darwin Deason.
La direction de Xerox a réagi en publiant elle-aussi une lettre ouverte. Elle y explique que sans vouloir « engager un débat public avec ses deux importants actionnaires », il est nécessaire « de répondre à leur lettre trompeuse et inexacte par une réponse écrite afin de s’assurer que tous les faits soient clairs pour tous les actionnaires de Xerox ». Elle indique notamment que l’opération, qui a été décidée après une année d’analyse, n’a pas d’alternative crédible permettant d’offrir de la valeur aux actionnaires.
Darwin Deason n’a toutefois pas limité son action à l’écriture avec son « collègue » d’une lettre ouverte, il a également porté l’affaire devant la justice américaine rapporte CRN. L’homme d’affaires, qui a revendu son entreprise ACS en 2010 à Xerox, estime que l’opération actuelle est le résultat d’une convention de blocage signée entre Fujifilm et la firme de Norwalk en 2001 et « dissimulée frauduleusement » aux investisseurs. L’accord signé en 1962 entre les deux parties donnant naissance à la joint-venture Fuji Xerox stipulait que cette dernière développerait, fabriquerait et commercialiserait des produits de traitement des documents dans la région Asie-Pacifique en s’appuyant sur les brevets et les technologies des deux entités. Cet accord a été modifié en 2001 lorsque Fujifilm, qui détenait jusqu’alors la moitié du capital, a augmenté sa participation à 75%. Empêché de vendre ses dispositifs d’impression et ses copieurs en Asie, ces droits appartenant désormais à Fuji Xerox, le fabricant américain se voyait par ailleurs interdire de céder plus de 30% de son capital à un concurrent, Fujifilm se réservant le droit de mettre dans ce cas fin à toute collaboration. Darwin Deason indique dans sa plainte qu’il n’a pas été averti de cet accord qu’il a découvert dans une note transmise récemment par Xerox à la SEC. Il estime que ces éléments « excluent un processus transparent et équitable pour la vente potentielle de Xerox ».
La direction de la société a indiqué dans une communiqué transmis à nos confrères de CRN, qu’elle allait répondre aux accusations de l’actionnaire par « les canaux légaux appropriés ». Affaire à suivre donc.