La succession du cofondateur et principal actionnaire de D.Fi, Jean-Rémy Pichon, se complique. Annoncé comme imminent début 2017, le LBO (leverage buy-out ou achat à effet de levier) associant les principaux managers de la société, paraît aujourd’hui enlisé. Et la détérioration du climat social compromet sa relance à court terme.

Désireux de vendre leurs parts, les actionnaires historiques de D.Fi ont envisagé dès 2013 l’idée de ce LBO. Mais le groupe faisant des pertes à l’époque, le processus n’a pu être véritablement lancé qu’à l’issue de l’exercice clos fin mars 2016, qui marquait le retour aux bénéfices. Un intermédiaire a alors été sélectionné pour se mettre à la recherche d’un investisseur potentiel. Et, en avril 2017, la direction annonçait en comité d’entreprise qu’une négociation exclusive avait été entamée avec Martek, un fonds de capital investissement. Dans le cadre d’une opération de transmission devant aboutir en principe fin juin 2017, celui-ci avait accepté de prendre une majorité du capital au côté de Thomas Meunier, auquel Jean-Rémy Pichon a cédé la direction opérationnelle du groupe dès 2014, et de quelques managers.

Aucun fonds d’investissement n’a été revu dans les murs de D.FI depuis l’été dernier

Mais en septembre dernier, la direction annonçait que les négociations n’avaient pas abouti avec Martek et qu’elle avait décidé de relancer la consultation avec d’autres fonds ayant préalablement montré leur intérêt. En décembre, la direction précisait que la négociation avait repris avec Martek sur les bases d’un business plan réactualisé. En pratique, ni Martek ni aucun autre fonds d’investissement n’a été revu dans les murs de D.FI depuis l’arrêt des négociations l’été dernier.

Quelles sont les raisons de l’échec de ce premier round de négociations ? Un bon connaisseur du dossier explique : « dans ce type d’opération, les investisseurs ont de grosses prétentions en termes de rentabilité et de plus-value ». Or le groupe, qui sortait d’une année [*] dans le rouge, n’avait selon lui encore ni une croissance ni une rentabilité suffisante pour satisfaire aux critères d’un fonds d’investissement. Sur l’exercice clos fin mars 2016, D-Fi est certes parvenu à dégager une rentabilité nette de l’ordre de 1,3% du chiffre d’affaires (soit 1,1 M€) mais la croissance a été faible (+2%). Et si l’exercice clos fin mars 2017 reste profitable – bien que dans une moindre proportion – à 610 K€, le chiffre d’affaires consolidé est en forte baisse (-15,3%) à 76,4 M€. Pour rappel, le groupe affichait encore 108 M€ de revenus sur l’exercice clos fin mars 2012.

Le virage vers les services s’est traduit par un flot de départs

Par ailleurs, les investisseurs ne s’engagent que s’ils sont convaincus de la cohésion de l’équipe managériale et du climat de confiance au sein de la société, poursuit notre interlocuteur. Martek a-t-il estimé que ces critères n’étaient pas remplis ? C’est probable au vu des nombreux témoignages que nous avons pu recueillir (en off) sur le climat social qui règne actuellement en interne. En cause, le virage vers les services impulsé par la nouvelle direction opérationnelle à partir de 2014 et qui s’est traduit par un flot continu de départs jusqu’à aujourd’hui. Selon une source interne qui travaille sur ce dossier, plus de la moitié de l’effectif a quitté la société en moins de trois ans. C’est beaucoup, même pour une société de services – ce qui n’est pas le cas de D.Fi qui continue de tirer les deux-tiers de ses revenus de la distribution.

Cette vague de départ n’a pas épargné l’équipe managériale, y compris ceux qui étaient pressentis initialement pour entrer au capital dans le cadre du LBO. C’est le cas de Thierry Sar, directeur administratif et financier, qui a quitté le groupe dès avril 2016. C’est aussi celui de Renaud Pinsard, fondateur de Lybelys, société de services rachetée en juin 2014 par D.Fi et dont l’activité est désormais portée par la ligne de services assistance technique du groupe. Nommé directeur des professional services en juin 2014 puis directeur du pôle Assistance technique en janvier 2016, il a quitté le navire en avril 2017. Autre exemple, celui de Corine Dourche-Sempe, ex-directrice marketing, qui avait pourtant accepté de participer au tour de table dans un premier temps et qui est sortie de l’effectif fin 2017. Dernier cas en date : Bastien Boudot de la Motte, directeur de la practice Cloud et infrastructures, qui vient d’être embauché chez SCC.

L’ampleur des défections et les pertes de compétences clés inquiètent

Tout le monde s’accorde pour dire que le virage vers les services était nécessaire et qu’il était inévitable que cette transformation de l’entreprise entraîne des départs. Mais c’est l’ampleur des défections et les pertes de compétences clés, notamment en commerce, en avant-vente et dans le delivery, qui inquiètent aujourd’hui ceux qui sont restés. Ainsi, le départ de Bastien Boudot de la Motte, porteur notamment de la compétence Power Systems a-t-il suscité pas mal d’interrogations à l’heure où IBM reste le principal partenaire de la société et alors que D.Fi tente de s’imposer dans les services managés autour des systèmes Power. Autre départ emblématique, celui de Christian Piquet, directeur des régions, il y a quelques semaines. Là aussi c’est l’incompréhension. Considéré comme loyal et performant (il pèserait près de la moitié du chiffre d’affaires négoce du groupe), soutenu par ses équipes, l’intéressé a été sanctionné alors qu’il venait d’annoncer de très bons chiffres trimestriels, en revenus et en marge. Au-delà de ces managers, ce sont aussi des compétences pointues en avant-vente qui passent à la concurrence, comme Frédéric Buirey, expert avant-vente en data management, spécialiste des solutions Symantec et Veritas, qui vient de rejoindre Digora, ou comme Marie-Christine Gamet, spécialiste IBM TSM, qui a quitté la société il y a un an pour prendre la responsabilité du pôle expertises sauvegarde et continuité de service d’Infidis.

Les conséquences de ce que certains n’hésitent pas à qualifier d’hémorragie sociale pourrait être catastrophique pour l’entreprise. C’est en tout cas la prémonition qu’avait eue Jacques Leignel, co-fondateur de la société, qui a claqué la porte fin octobre 2016 après avoir revendu toutes ses parts aux actionnaires historiques et à Thomas Meunier. Dans un mail adressé à tous les salariés, il avait fait part de son « profond désaccord avec la nouvelle direction opérationnelle de D.FI » en précisant que « la situation [était] susceptible d’être gravement préjudiciable aux intérêts de l’entreprise et de son personnel ». « Les futurs enjeux qui attendent l’entreprise supposent qu’elle soit en capacité de garder ses compétences et d’attirer de nouveaux talents. […] Il s’agit là d’une condition essentielle à la pérennisation de l’entreprise », avait-il conclu.

La direction de D.Fi répond

Contactée pour donner de vive voix sa vision de la situation, la direction de l’entreprise nous a fait parvenir une lettre avec accusé de réception dont nous reproduisons ci-dessous un large extrait :
« En tout état de cause, le climat social auquel vous consacreriez votre article s’inscrit dans un contexte concurrentiel que vous connaissez bien aujourd’hui pour le marché de l’IT, et dans lequel notre société a choisi de se transformer afin de répondre aux nouveaux besoins de ses clients. Cette transformation d’une société trentenaire a généré des doutes dont nous sommes tout à fait conscients et dont nous vous assurons avoir pris la pleine mesure.
Notre transformation, initiée depuis 2014 vers les services et le cloud, […] s’illustre notamment par une nouvelle réussite économique qui nous permet d’être leader sur différents pans de notre secteur d’activité.
Cette réussite, ainsi que la confiance de nos clients et de nos partenaires, nous permet dès le premier trimestre de cette année d’ouvrir notre offre de services au marché européen. Elle offre aussi de nombreuses opportunités internes d’évolution, dont des exemples avérés illustrent d’ores et déjà notre organigramme. Enfin, ce dynamisme offre l’opportunité d’accueillir plus d’une quarantaine de nouveaux talents au titre de cette année. »

 

[*] D-Fi a enregistré une année de pertes sur l’exercice 2014-2015 mais n’a pas subit plusieurs exercices déficitaires comme indiqué par erreur dans un premier temps.