La petite phrase de Patrick Starck qui a déclaré, lors de la présentation de Cloudwatt, que le métier d’hébergeur était voué à la disparition à fait sursauter Fabrice Coquio, le président d’Interxion France, qui lui répond indirectement.


Channelnews : Lors de la présentation à la presse de Cloudwatt au début du mois, son président Patrick Starck a déclaré que Cloudwatt n’avait pas vocation à devenir hébergeur de machines physiques, en précisant que ce métier était est amené à disparaître. Une déclaration qui vous a fait bondir.

Fabrice Coquio : Oui. La phrase de Patrick Starck est un peu provocatrice et manque de précision. Car le mot hébergement a plusieurs significations. Il y a l’hébergement au sens colocation du bâtiment ; la mutualisation d’infrastructures (serveurs et stockage) ; le hosting de serveurs ou d’applications ; le Web hosting et le cloud. Quelle peut donc être la signification de la phrase de Patrick Starck ?

S’il a voulu dire que c’est l’hébergement en interne par les entreprises qui est amené à disparaître, nous sommes d’accord. C’est la vague qui porte Interxion. Les agents d’externalisation ont tendance à faire mieux et moins cher, surtout en-deça d’une certaine taille. Ainsi, le marché considère qu’en dessous de 3 mégawatts, il n’y a aucun intérêt à construire sa propre salle. Mais il convient de rappeler que cela va prendre du temps avant que toutes les salles soient externalisées, sachant que 80% d’entre elles sont encore en interne, soit seulement 8% de moins qu’il y a cinq ans.

S’il a voulu dire qu’au sein de ces datacenters mutualisés, il ne croit pas qu’il y ait un intérêt à avoir des machines dédiées, nous ne sommes pas d’accord. Cela dépend des besoins des clients. Comme pour l’externalisation de la salle, il existe un point d’inflexion au-delà duquel il est plus intéressant de posséder ses assets. Ainsi pour leurs clouds privés, de nombreuses entreprises continuent d’investir dans leurs propres infrastructures qu’elles posent dans nos centres.

Plus fondamentalement, vous semblez remettre en cause l’intervention de l’Etat dans cette initiative.

Fabrice Coquio : En effet. Je ne pense pas que Numergy et Cloudwatt puissent prétendre lutter contre les géants du cloud public tels Google, Apple, Microsoft, Amazon, IBM, qui investissent des centaines de millions de dollars par an dans leurs datacenters et qui ne les ont pas attendus pour occuper le marché. Microsoft a ainsi englouti 2 milliards de dollars en l’espace de deux ans. Je pense qu’ils ont plus vocation à se positionner sur le segment du cloud hybride. Un segment sur lequel les clients sont en général en cheville avec un intégrateur ou un infogéreur qui les aide à basculer progressivement leurs applications vers le cloud. Si c’est le cas, je ne vois pas ce qu’il y a d’original dans l’approche de Cloudwatt et Numergy par rapport à des acteurs comme Quadria, Intrinsec, Ikoula, SQLI, SCC… En revanche, le fait que l’Etat ait investi dans Cloudwatt et Numergy crée une distorsion de concurrence vis-à-vis de ces acteurs. La seule légitimité que je vois dans cette initiative, c’est l’aspect souveraineté, autrement dit la garantie que les données restent sur le territoire national. Mais est-ce qu’on a nécessairement besoin pour cela de l’intervention de l’Etat ? Je ne crois pas. En Grande Bretagne, on héberge depuis dix ans le NHS, l’équivalent britannique de la sécurité sociale, preuve que l’on peut garantir que certaines données ne circulent pas. Le législateur est parfaitement capable d’imposer les contraintes nécessaires pour protéger les données.

Dans une tribune, vous écrivez même que « les exemples de tentatives de création d’industries de solutions à la française ne sont pas forcément pérennes et, force est de constater qu’il y a plus d’exemples de tentatives avortées que de vraies réussites ».Vous ne croyez donc pas à la réussite de Cloudwatt et Numergy ?

Fabrice Coquio : Le choix d’associer dans les deux cas une société informatique avec un un opérateur me paraît anachronique. Depuis douze ans, la tendance est à la connectivité neutre en matière de télécoms. C’est l’un des facteurs de la baisse des prix. Orange comme SFR vont avoir pour seul objectif de vendre leur réseau. Mais sans concurrence, la promesse économique ne pourra pas être tenue. Autre point qui me paraît central : la densité électrique. Pour tenir la promesse économique du cloud, il faut pouvoir fournir la haute densité électrique possible. Or, à ma connaissance, les datacenters d’orange sur lesquels s’appuiera Cloudwatt sont loin de l’état de l’art en la matière. Ni SFR ni France Télécom ne peuvent à ce jour proposer un service de cloud haute densité électrique, c’est-à-dire au moins 1.500 watts par m2. À contrario, notre dernier datacenter offre 2.500 watts par m2.