Le tribunal de commerce de Marseille a tranché. Le 27 mai, moins de deux mois après sa mise en redressement judiciaire, il a placé Scala en liquidation. Une issue improbable pour cette entreprise de services numériques d’une centaine de personnes dont l’exploitation était pourtant positive depuis deux ans et qui avait repoussé une offre de rachat à 2 M€ à peine un mois avant sa mise en redressement judiciaire. Mais, au vu du passif important (5,1 M€ pour un chiffre d’affaires de l’ordre de 14 M€), des fonds propres déjà négatifs de 1,8 M€ au 31 décembre 2018 – l’entreprise n’ayant pas pu produire de bilan pour l’année 2019 – et devant la « déliquescence de l’entreprise » (caisses vides, perte de chiffre d’affaires, démissions…), le tribunal a estimé que Scala n’était plus viable et qu’aucune solution de redressement n’était possible.

Étonnamment, le tribunal n’a pas non plus retenu la piste de la reprise. Quatre offres étaient pourtant sur la table. La plus consistante était celle de Perfeo/Audensiel, qui proposait, moyennant un prix de cession de 20.000 €, de poursuivre les activités régie, digital et hébergement avec à la clé la reprise de 29 salariés. Mieux-disante en termes de prix, d’emplois sauvés, de connaissance métier et d’ancrage territorial, elle avait aussi l’avantage d’être soutenue par les salariés de Scala et par ses dirigeants historiques (et actionnaires minoritaires), Benoît Mauran et Robert Bravo, qui avaient accepté d’en être partie prenante. Mais le tribunal n’a pas été convaincu de la solidité financière de Perfeo et Audensiel.

Balayée également, l’offre de la Compagnie Financière Immobilière et Commerciale, copié-collé de l’offre Perfeo/Audensiel, soutenue par les dirigeants de Quanteam, la maison mère de Scala. Le tribunal s’est étonné que le cœur d’activité de la Compagnie Financière Immobilière et Commerciale soit l’immobilier, bien loin du métier de Scala, et s’est inquiété de ce que son offre – remise après la date limite – ne donne « aucune garantie de maintien de l’activité et donc de l’emploi », selon la minute du jugement.

Cette liquidation laisse donc une centaine de salariés sur le carreau, dont neuf collaborateurs tunisiens en détachement en France, sans ressources et sans solution de retour au pays. Des salariés qui ont une autre lecture que le tribunal de la situation de l’entreprise. Pour eux, celle-ci était viable – au moins jusqu’à fin février – et certainement redressable. De leur point de vue, Scala a surtout été victime de la guerre que se sont livrés ses associés et de l’intransigeance de Quanteam vis-à-vis de sa filiale.

En reprenant Scala à la barre du tribunal en 2016 Quanteam avait accepté de garder ses dirigeants historiques, Benoît Mauran et Robert Bravo, et de leur laisser 20% du capital. Mais, l’entente entre ces derniers et Julien Bensoussan, PDG de Quanteam, n’a jamais été bonne, s’accordent à dire plusieurs témoins. Après deux exercices calamiteux qui se sont soldés par 2 M€ de pertes cumulées, et constatant l’échec des synergies entre les deux entreprises, Quanteam décide d’arrêter les frais et de mettre en vente ses titres sur Scala mi-2018. Quanteam reçoit plusieurs offres mais ne donne pas suite, les estimant insuffisantes.

Les comptes de l’entreprise revenus au vert, Benoît Mauran et Robert Bravo décident à leur tour de faire une offre mi 2019 après avoir trouvé un fonds d’investissement acceptant de les accompagner. Quanteam fait monter les enchères pendant six mois et finit par accepter leur offre en janvier dernier, avant de tout annuler fin février. Le cédant refuse en effet d’accorder au fonds d’investissement les quelques jours de délai qu’il demande pour réunir la commission d’investissement devant donner le feu vert définitif à l’opération. Dépité, et alors que les audits étaient favorables, le fonds d’investissement se retire, laissant Quanteam face à ses responsabilités, et notamment à la nécessité de reconstituer les fonds propres et la trésorerie.

Quanteam annonce bien une reprise en main de la stratégie mais ne réinjecte pas de cash. L’arrivée du confinement, qui s’ajoute aux annonces de démissions de nombreux salariés clés ne se projetant plus dans l’entreprise, conduit Scala à se déclarer en cessation de paiements fin mars, soit un mois après que Quanteam ait annulé sa vente.

Outre les salariés et les créanciers, de nombreux clients font également les frais de la liquidation de Scala, notamment ceux que la société hébergeait dans son datacenter, et qui se retrouvent privés de certaines composantes essentielles de leur système d’information sans possibilité de se retourner rapidement*.

Invité à s’exprimer, Julien Bensoussan s’est abstenu.

*Addendum du 2 juin : Jaguar Network, l’un des partenaires de colocation de Scala, nous fait toutefois savoir que les services Scala continueront de tourner dans ses datacenters le temps que les clients trouvent une solution pour se retourner sans coupure.

Edit du 9 juin : on apprend également qu’OVHcloud, principal partenaire de colocation de Scala, a maintenu la continuité de service pour les clients de Scala.