Contrairement au discours ambiant, nous connaissons un ralentissement des technologies depuis les années 1970. Telle est la thèse iconoclaste de l’économiste Robert Gordon.
Depuis l’avènement du PC, de l’Internet et tous ses avatars, le cloud, le mobile, les réseaux sociaux, l’analytics dopée à l’intelligence artificielle, nous serions dans une ère de révolution technologique sans précédent. Tel est en tous le cas le discours de nombreux analystes et autres gourous sevrés aux technologies numériques. Un des ouvrages fondateurs dans le domaine est celui d’Herman Kahn et Anthony Wiener The Year 2000 publié en 1967 qui présentait une liste pléthorique des inventions à venir d’ici à l’an 2000. « Malheureusement, les deux auteurs se sont assez lourdement trompés, constate Paul Krugman, prix Nobel d’économie dans sa tribune du New York Times, même s’il avait prévu l’Internet (presque en gestation) et le mobile ».
Alors vivons-nous une époque de révolution technologique sans précédent ? Ce n’est en tous cas pas l’avis de Robert Gordon, professeur d’économie à l’université de Northwestern dans son dernier ouvrage « The Rise and Fall of American Growth » qui considère en fait que la révolution économique s’est inscrite dans une sorte de siècle d’or allant de 1870 à 1970. La fin des années 1870, plusieurs découvertes ou innovations faites à quelques mois d’intervalles : Thomas Edison teste la première ampoule électrique, Karl Betz développe un moteur à combustion, David Edward Hugues réussi à transmettre un signal sur quelques centaines de mètres sans fil…
Et les innovations faites alors ont transformé en profondeur la vie quotidienne des habitants des pays occidentaux en l’espace de quelques décennies allant de pair avec une urbanisation croissance des populations : la lumière électrique remplaçait la bougie, la lampe à huile ou l’éclairage au gaz, les toilettes que nous connaissons aujourd’hui entraient dans les habitations privées, la voiture et le train ont pris la place des chevaux, la médecine a fait des progrès de géant prolongeant l’espérance de vie au-delà de ce qui était imaginable.
L’auteur constate que depuis 1970, la croissance s’est largement ralentie et de manière durable. Les crises pétrolières de 1973 et 1979 ont porté un rude coup d’arrêt à la croissance connue depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Vers la fin des années 80, Robert Solow avait déjà pointé du doigt ce phénomène. Le prix Nobel d’économie de 1987 faisait remarquer que l’introduction massive des ordinateurs dans l’économie, contrairement aux attentes, ne se traduisait pas par une augmentation statistique de la productivité. Cette constatation, connue désormais sous l’appellation Paradoxe de Solow était énoncé comme suit : « you can see the computer age everywhere except in the productivity statistics ».
Avec une croissance soutenue à partir de 1992, on a cru que les États-Unis étaient parvenus à briser ce « paradoxe » : retour d’une productivité record. Robert Solow pensait « qu’il est possible que ce soit la fin du paradoxe des ordinateurs, mais je n’en suis pas sûr » (Le Monde de l’économie, 18 avril 2000). Finalement quelques années plus tard, Solow indiqua s’être trompé et que les gains de productivité étaient réels. Mais la croissance dans les pays occidentaux est restée relativement modeste comparée à ce que l’on avait connu dans les trente glorieuses. Il est vrai que les pays émergents ont pris le relais. Au terme d’un développement rapide ininterrompu depuis une trentaine d’années, la Chine est devenu la deuxième économie du monde talonnant les Etats-Unis. Sauf que depuis quelques années, même dans ces pays, la croissance s’est également largement ralentie.
D’autres économistes ont fait la même constatation que Robert Gordon. C’est le cas de Tyler Cowen, professeur d’économie à l’université George Mason dans son ouvrage The Great Stagnation qui montrait également le peu d’impact des technologies mobiles et des réseaux sociaux sur l’économie. En France, Daniel Cohen, professeur à l’Ecole Normale Supérieure fait la même constatation dans son ouvrage « Le monde est clos et le désir infini » où il note le peu d’emplois créés par les technologies de l’information (Numérique et création d’emplois).
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