Consultant indépendant spécialisé dans le conseil stratégique pour le compte des SSII, Claude Gourlaouen tire la sonnette d’alarme : le manque chronique de rentabilité des SSII risque de mener à une consolidation au bénéfice des grands groupes internationaux.


La pression sur les tarifs constitue le problème N°1 des SSII. En se répercutant mécaniquement sur la marge d’exploitation, elle pénalise la rentabilité, les capacités d’investissement et la valorisation boursière de ce secteur d’activité.  Bien plus crucial que les difficultés de recrutement, la capacité à augmenter les prix constitue un défi pour cette industrie, et en illustre les faiblesses. Cette pression tarifaire s’exerce de façon différente selon les types de prestations.

En assistance technique, elle se manifeste d’abord lors du renouvellement du référencement, occasion rêvée qui permet à l’acheteur d’exiger davantage de ses fournisseurs en matière de prix. Ne pouvant prendre le risque de se faire déréférencer, la SSII finit par céder aux exigences des services achats. De plus, le client exige parfois de son fournisseur un effort supplémentaire sous forme de déclassement de profils ou de référencements complémentaires qui s’emboîtent au sein du référencement global et se traduisent par des ristournes supplémentaires.


Un lièvre pour faire baisser les tarifs

Concernant les forfaits, les négociations étant de plus en plus courtes et même inexistantes dans le secteur public, le fournisseur a tout intérêt à présenter dès le départ une offre serrée, d’autant que le client introduit généralement parmi les soumissionnaires un acteur de moindre taille («le lièvre») dont le seul rôle consiste à faire baisser les prétentions des fournisseurs les plus importants ou les mieux placés. A l’issue de des négociations, le fournisseur retenu ne dispose généralement plus de marge de manœuvre financière pour faire face aux inévitables imprévus d’un projet forfaitaire. Dès lors, le jeu pour chaque partie consiste à préparer le contentieux ou reporter sur l’autre le coût des aléas et dérapages qui sont le lot de tout forfait.

S’agissant des contrats de services, là aussi le fournisseur retenu est souvent le moins-disant ou proche de celui-ci en termes tarifaires. L’enjeu pour le gagnant se joue en fait lors de la constitution de l’équipe : il doit faire accepter au client des profils lui garantissant une rentabilité tout en respectant les engagements qu’il a dû consentir pour remporter cette affaire (tarifs réduits, gratuités,…). Or si le volume a un sens pour le client, il en a beaucoup moins pour la SSII qui reste confrontée au fait que sa masse salariale, principal poste de charges, ne diminue pas en fonction de la durée et du volume du projet.

Tout le jeu du fournisseur consiste alors à mutualiser des compétences sur plusieurs projets si les travaux se déroulent dans ses locaux ou, dans le cas contraire, à faire valider par le client des ressources «imparfaitement» pertinentes mais économiquement compatibles. Ainsi, s’ils donnent de la visibilité, améliorent le taux d’occupation et permettent de gagner des parts de marché, les contrats de services ne contribuent pas à améliorer la rentabilité des SSII.

Une marge de manœuvre de plus en plus limitée


Il est révolu le temps où les SSII françaises parvenaient à dégager des marges significatives qui leur permettaient d’investir et de mener une politique sociale qui suscitait l’adhésion des collaborateurs. Coincées entre des clients qui disposent de la capacité de fixer les prix, des salariés qui font jouer la surenchère salariale et une réglementation de plus en plus contraignante, la marge de manœuvre des SSII est de plus en plus limitée. Aujourd’hui les SSII étrangères génèrent des marges bien meilleures : la marge nette d’IBM est 2,5 fois supérieure à celle de Cap Gemini, et son résultat net avant impôt plus de 4 fois supérieur ! 

Les baisses de tarifs successives subies depuis plusieurs années par les SSII concrétisent le fait que la relation client/fournisseur est bien plus déséquilibrée dans les services informatiques que dans la plupart des secteurs d’activité. Dans la répartition de la richesse dégagée par la profession, le client est aujourd’hui avantagé au détriment :

  • des salariés, ce qui se traduit par des pressions salariales permanentes, un turn-over important et une image sociale dégradée,
  • des actionnaires, ce qui se traduit par une diminution significative de la valorisation boursière des SSII depuis 10 ans. la valorisation boursière des SSII françaises a chuté 2 fois plus que celle du marché en 8 ans.


Il y a trop de SSII en France

Cette relation déséquilibrée provient en particulier du fait que l’offre est bien supérieure à la demande. On dénombre ainsi en France plusieurs milliers de SSII, dont près de 4000 comptent plus de 10 collaborateurs (Source : Syntec) Et, le ticket d’entrée étant très faible, il s’en crée de nouvelles tous les jours. Qui plus est, d’autres acteurs comme les sociétés d’intérim, disposent d’un savoir-faire leur permettant de pénétrer le secteur. Tant que les fournisseurs seront en sureffectif, le rapport de force restera à l’avantage du client et ce dernier continuera à jouer un fournisseur contre l’autre de façon à bénéficier des meilleures conditions tarifaires.

Comment sortir de l’impasse dans ces conditions ? Les SSII doivent admettre qu’elles sont trop nombreuses. Le client, qui vit souvent dans le court-terme, n’a aucun intérêt à faire évoluer cette situation qui lui permet d’externaliser le recrutement, le management et la gestion d’une grande partie des ressources informatiques dont il a besoin, pour un surcoût minime représenté par la faible marge qu’il consent à ses fournisseurs.


Il est indispensable de relever le ticket d’entrée

Pour que les SSII génèrent le niveau de marge leur permettant de satisfaire de façon équilibrée leurs clients, leurs actionnaires et leurs salariés, il est indispensable de relever le ticket d’entrée. 
Pour ce faire, il existe un moyen simple : la profession doit exiger des clients le respect strict des référencements. Limiter le nombre de fournisseurs autorisés à exécuter des prestations au sein de chaque grand compte devrait conduire à une diminution du nombre d’acteurs et donc à une consolidation du secteur des services informatiques.

S’il n’en est rien aujourd’hui, c’est que, bien que le client ait sélectionné un nombre de SSII (entre 10 et 50 selon le volume de sous-traitance engagé) lui permettant de couvrir largement ses besoins tout en maintenant une concurrence saine entre ses fournisseurs : le client confie une part parfois significative de ses prestations à des sociétés non-référencées, il peut faire pression sur ses SSII référencées afin qu’elles sous-traitent des prestations à des sociétés non-référencées.

De ce fait, les sociétés référençables, essentiellement les moyennes et grandes SSII, abandonnent de la rentabilité mais sont limitées dans leur développement du fait que leurs clients, avec qui elles dialoguent en position de faiblesse, sponsorisent en permanence l’entrée de nouveaux venus sans valeur ajoutée particulière. Le marché ne parvient donc pas à consolider.

Une réponse nécessairement collective


Obliger les clients à respecter leurs engagements ne peut être le fait d’une seule société, ce serait peu efficace et suicidaire. Cette action, forcément collective, doit être menée au plus haut niveau de la profession. Si le Syntec, accompagné des Présidents des 10 plus grandes SSII, rencontrait les 10 plus grands donneurs d’ordres et exigeait le respect des engagements pris en mettant en avant tous les avantages moyen-long terme qui en résulteraient pour les clients (s’appuyer sur un réseau de fournisseurs solides, connaissant bien le métier des clients et capables d’investir), alors le problème serait en passe d’être résolu. Ceci suppose que :

  • le Syntec devienne une véritable instance de revendication, capable de prendre des positions audacieuses et de mener des batailles dures dans l’intérêt de ses adhérents. Le Syntec est à l’origine de nombreuses initiatives pour redresser l’image sociale de la profession, mais ce faisant il mélange la cause et l’effet : tant que les entreprises ne pourront pas orienter une part plus importante de la valeur dégagée au profit de leurs salariés, les tensions sociales, la pression salariale et l’image sociale dégradée subsisteront.
  • les dirigeants des plus grandes SSII mettent de côté leur ego, oublient un temps l’esprit de forte concurrence qui anime leurs entreprises et jouent collectif
  • les clients admettent qu’il est de leur intérêt moyen/long terme de disposer d’une industrie de sous-traitance dont les tarifs seront raisonnables, qui jouera la carte de la proximité, comprendra leurs besoins et sera capable d’investir.


Salariés, management et clients perdants en cas de consolidation par l’international

Il convient de faire vite car si rien ne bouge, l’avenir des SSII françaises restera incertain. Dégageant une faible rentabilité et délaissées par leurs actionnaires, mal-aimées de leurs salariés et maltraitées par leurs clients, les SSII se vendront une à une à de grands groupes étrangers, qui sans nul doute se traduira par une hausse significative des prix. Mais cette fois cela risque de se faire au détriment des clients, qui paieront bien plus cher des services indifférenciés, mais aussi du management, qui aura été remplacé, et des salariés, qui seront en situation de concurrence interne permanente dans la répartition internationale des projets au sein de leur compagnie.

Claude Gourlaouen :

Depuis plus de trente ans dans le secteur des services informatiques, Claude Gourlaouen a occupé durant les vingt dernières années des postes de management dans différentes sociétés de services. Il est notamment passé par Syseca, par Teamlog et par Groupe Open, où il a occupé le poste de directeur région Ile-de-France jusqu’en 2011. Il a aussi créé et dirigé une société de services et un cabinet de conseil. Depuis dix-huit mois il conseille des dirigeants de SSII dans leur stratégie de développement et réalise de l’analyse d’offre pour le compte de donneurs d’ordres.

Cette tribune est parue initialement sur son blog Connect-IT.