La plateforme française d’intelligence artificielle Lucie, développée par Linagora avec le soutien du CNRS, a été suspendue temporairement après qu’une version en cours d’apprentissage a été ouverte au public pendant trois jours. Depuis, les débats vont bon train quant à la pertinence du projet d’IA générative soutenu par le plan d’investissement France 2030 pour devenir une alternative à ceux des géants américains et chinois du numérique. Matthias de Bièvre, fondateur et président de Visions, intermédiaire de données personnelles des espaces de données, exprime son positionnement à Channelnews.
Channelnews : Que pensez-vous du battage médiatique qualifiant le projet d’IA Lucie d’échec ?
Matthias de Bièvre : Lucie est le symbole d’une IA française en construction et ce projet mérite mieux qu’un procès expéditif. Les critiques ne datent pas d’hier : dès son lancement, elle a rapidement été reléguée au rang de “flop”. Au-delà des moqueries, une question essentielle se pose : la France doit-elle abandonner sa souveraineté numérique au premier obstacle ? Développer une IA nationale face aux géants américains et chinois est un défi de taille. Lucie a été conçue en seulement 18 mois avec un budget de 10 millions d’euros, quand les grands modèles de langage (LLMs) internationaux bénéficient de plusieurs années de développement et de budgets dépassant les 10 milliards.
Channelnews : La compétition internationale n’est-elle pas trop forte pour la survie d’un tel projet d’IA souveraine ?
Matthias de Bièvre : L’enjeu va bien au-delà de la simple performance d’un robot conversationnel. Lucie incarne une ambition stratégique : celle d’une IA souveraine, alignée avec les valeurs européennes et indépendantes des infrastructures étrangères. Alors que les risques liés à la dépendance aux technologies extra-européennes s’intensifient, la France et l’Europe devraient-elles renoncer à toute alternative locale ? Je ne pense pas. Si nous voulons une IA souveraine et bénéfique à notre société, l’ensemble de l’écosystème doit se mobiliser. Nous ne pouvons pas tout attendre des initiateurs du projet : une démarche ouverte repose sur la contribution active de tous.
Channelnews : Qu’entendez-vous par « contribution active » ?
Matthias de Bièvre : L’écosystème français a aujourd’hui le choix : investir, améliorer et structurer son propre modèle ou dépendre définitivement des solutions étrangères. Pour notre part, nous avons pris la décision d’intégrer Lucie et de tester sa technologie dans nos projets de data space. Rappelons-nous que l’IA Lucie n’en est qu’à ses débuts. L’intelligence artificielle est un marathon, pas un sprint.