La transition écologique s’accélère et pourrait avoir un impact bien plus important qu’on le pense sur l’économie, prévient l’économiste Jean Pisani Ferry dans Les Echos. Channelnews a demandé à Romuald Ribault, directeur marketing d’Ecologic France, vice président de l’Alliance Green IT (AGIT) et trésorier du mouvement des entrepreneurs de la nouvelle économie (MENE), d’imaginer l’impact que cette transition écologique pourrait avoir sur le secteur du numérique. Entretien.

Channelnews : Dans une tribune parue dans Les Echos du 24 août, l’économiste Jean Pisani Ferry (qui a élaboré le programme économique du candidat Macron) alerte sur le fait que la transition écologique en marche pourrait être bien plus brutale qu’on ne le pense. Il explique qu’elle va induire une obsolescence accélérée d’une part importante des équipements et du capital et que le maintien du niveau de production actuel va nécessiter des investissements substantiels impliquant de « réallouer des ressources de la consommation vers l’investissement », susceptibles de « remettre en cause l’équilibre actuel entre épargne et investissement, et donc peut-être le niveau des taux d’intérêt ». Qu’en pensez-vous ?

Romuald Ribault : Je constate qu’il y a une vraie césure cette année. Avant, lorsqu’un rapport du GIEC sortait, on entendait toujours dire dans les milieux économiques : « oui mais on n’est pas sûr » ou « oui mais je ne suis pas un spécialiste ». Cette fois, on entend un autre discours. On assiste à une vraie prise de conscience. Il y a notamment l’idée que le coût du carbone va devenir une réalité. Les industriels réalisent que cela va casser leurs plans d’amortissement existants. C’est en cela que la transition écologique risque d’être brutale. Elle va élever les prix sans produire plus. Et ceci alors que la demande va continuer d’augmenter. C’est ce que l’auteur de l’article appelle « choc d’offre négatif ». Peu de croissance et de l’inflation, cela ressemble fort de la stagflation. Ce qui devrait se traduire par une réduction du pouvoir d’achat. Dans la version optimiste, les recettes générées par la taxe carbone devraient toutefois permettre d’amortir la brutalité de la transition.

Channelnews : Quel pourrait être selon vous l’impact de cette transition écologique sur le secteur IT en France ?

Romuald Ribault : Un monde fini implique de remettre au juste coût les produits et services numériques en intégrant les externalités environnementales, sociales, santé, etc. liées à leur fabrication. Un ordinateur contient une soixantaine de métaux qui ont été prélevés dans le sol par une main d’œuvre souvent esclavagisée, via des machines fonctionnant au pétrole, ayant nécessité de l’eau, qu’il a fallu acheminer, dans des écosystèmes qui ont été perturbés, créant des effets sur la santé assumés par la collectivité… Même chose pour un service numérique qui nécessite une chaîne matérielle sous-jacente. Le numérique recèle aussi des externalités positives. Il permet par exemple de lutter contre l’exclusion, de créer des emplois, d’éviter des déplacements… C’est la balance des deux qui permet d’évaluer le coût environnemental et social d’un produit ou d’un service à usage donné. La réintégration des externalités sur les produits et services numériques devrait se traduire par une hausse de leurs prix. Je ne vois pas d’autre issue.

Channelnews : Quels pourraient être les gagnants et les perdants de cette transition écologique dans le numérique ?

Romuald Ribault : Pour l’instant, je dirais que les gagnants seront les Chinois. Ce sont eux qui extraient les matières premières nécessaires à la fabrication des semi-conducteurs. Ce sont eux aussi eux qui les fabriquent et les assemblent. Ils ont mis la main sur les mines partout dans le monde il y a déjà dix ans. Nous risquons de subir le diktat chinois à terme. Le recyclage, même s’il atteignait 100% des matériels en fin de vie, ne suffira pas à couvrir l’ensemble de nos besoins. Nous devrons aller vers une démarche de sobriété. La France a néanmoins des atouts à jouer un rôle dans le domaine du numérique responsable en s’impliquant au niveau de l’écoconception. Elle a la capacité de faire monter en compétence ses ingénieurs, de créer une filière s’inscrivant dans une démarche résiliente. Les gagnants seront ceux qui auront pris conscience de ces enjeux. Les perdants seront ceux qui resteront dans le déni.