La crise sanitaire représente à la fois une menace – il y aura des morts – et une opportunité pour les entreprises du secteur IT, estime Kevin Polizzi, directeur général de l’opérateur et hébergeur cloud Jaguar Network, la filiale B2B du groupe Iliad.
Quel a été l’impact du confinement sur l’activité de Jaguar Network ?
Kevin Polizzi : Le premier effet a été le passage de l’équipe en télétravail. On a cette chance de faire un métier dématérialisé. On s’y était préparé depuis longtemps. Depuis l’épisode de la grippe H5N1, en fait. Nous avions bâti dès cette époque un plan de mobilité en complément de notre plan de continuité d’activité. Ce plan de mobilité, qui nous permet de fonctionner à distance comme si de rien n’était, nous avait déjà bien rendu service pendant la période des grèves. Si bien qu’il nous a fallu que 48h00 pour basculer tous les salariés en télétravail dès le vendredi précédent le confinement total. L’autre effet immédiat a été le doublement de notre trafic réseau en raison de la généralisation du télétravail. Ce trafic est resté soutenu jusqu’à maintenant. En revanche, la suractivité des premiers jours autour de l’accompagnement des clients dans la mise en place du télétravail s’est rapidement calmée.
Avez-vous pris des mesures de chômage partiel ?
Kevin Polizzi : Non. C’est une décision forte du groupe Iliad à laquelle nous nous sommes conformés. On en profite pour passer du temps des sujets de fond et pour innover en recherche et développement. Nous allons d’ailleurs faires des annonces dans les prochaines semaines, notamment dans le domaine de l’IoT.
Avez-vous eu recours aux différents dispositifs mis en place par le gouvernement (prêts garantis, fonds de solidarité…) ?
Kevin Polizzi : On n’a pas fait de demande de PGE (prêt garanti par l’État) car on pense que ce dispositif doit rester réservé aux entreprises qui ont besoin de retrouver des capacités financières. Jaguar dispose de six mois trésorerie. De quoi continuer à payer ses créanciers et ses fournisseurs tout en faisant des facilités de paiement à ses clients. Pour la même raison, nous n’avons pas souhaité décaler nos cotisations sociales. L’État a besoin de cet argent. Du reste nous disposons d’une très bonne visibilité au moins jusqu’en septembre. On avisera cet été s’il y a lieu de se tourner vers ces dispositifs en fonction de l’évolution de la situation économique.
L’activité de Jaguar pourrait donc être affectée à terme ?
Kevin Polizzi : Malgré le PGE, on observe un gros ralentissement de l’activité économique. Ce ralentissement tient plus à une inquiétude de l’avenir qu’à une réalité économique. En pratique, les entreprises sont concentrées sur le déconfinement. Elles se préparent à réaccueillir leurs salariés dans de bonnes conditions sanitaires en s’équipant de visières, de masques, de caméras thermiques… Du coup, beaucoup de projets sont décalés. Je pense que c’est parti pour durer un bon semestre. Rien ne redémarrera avant septembre. Beaucoup d’entreprises IT vont souffrir de ces décalages de projets. Il y aura des impayés. Cela devrait surtout concerner les petites entreprises du channel en affaires avec une clientèle de TPE, les plus affectées par la crise. Je pense, qu’une société sur cinq pourrait ainsi disparaître. Il est donc difficile de se projeter à long terme. Le surcroît d’activité réseau lié au télétravail sera soutenu au moins jusqu’à la sortie de l’été. Après, on ne sait pas.
À quelles évolutions majeures du marché IT vous attendez-vous après le déconfinement ?
Kevin Polizzi : On va assister à mon avis à une accélération de cette transformation digitale subie déclenchée par la crise. Cela va être une source de nouvelles opportunités pour le channel. Il va falloir pérenniser en contrats long terme tout ce qui a été mis en œuvre de façon provisoire dans le cadre du basculement général vers le télétravail. Je ne crois pas que les entreprises reviendront en arrière en ce domaine. Il faudra rationnaliser les outils permettant ce télétravail (en commençant par des connexions réseau) et les sécuriser.
Qui seront les gagnants de cette crise ?
Kevin Polizzi : Les grands vainqueurs sont clairement les Gafa. Il suffit de regarder leur cours de bourse. Chacun aura noté que pendant quasiment tout le confinement, les gens auront fait leurs courses sur Amazon. Leurs produits dématérialisés dans le Cloud et hautement évolutifs ont fait merveille. Ils nous donnent une véritable leçon de commerce. La grande question va être de savoir si l’on va être capable de faire naître les conditions réelles de la souveraineté numérique. On peut en douter. Il faudrait que l’État commence par se doter des moyens nécessaires à sa modernisation numérique. Or on ne peut que constater, par exemple, qu’il n’est toujours pas possible aujourd’hui de récupérer les 20% de TVA sur les frais de fonctionnement Cloud qu’il est pourtant possible d’obtenir sur les budgets d’investissements de matériels en local (serveurs, stockage).