Critiqué pour avoir cédé Vade à l’Allemand Hornetsecurity, Georges Lotigier argumente sur la question sensible de la souveraineté et justifie au passage les motivations de ce rapprochement.

Channelnews : Alors qu’en tant que cofondateur d’Hexatrust vous défendez les valeurs de souveraineté française dans la cybersécurité et le Cloud, certains vous reprochent à travers cette opération d’avoir cédé Vade à un acteur détenu par des fonds de pension américains.

Georges Lotigier : Ce point est non fondé, sauf si on est contre la construction européenne… En effet Vade reste bien Européen : société française, contrôlée par une société allemande, de droit européen dans lequel se retrouvent les actionnaires français de Vade, dont moi-même.

Il y a bien deux actionnaires anglo-saxons, PSG et TA, basés à Londres, qui gèrent notamment des fonds levés en Europe, et qui sont minoritaires à moins de 25% d’actions ordinaires chacun. Les autres actionnaires sont d’origine européenne : Verdane (Suede), Tikehau, Auriga et Cyber étant Français. Le malentendu vient probablement du fait que certains ont indiqué que Verdane est américain, ce qui est faux.

Le conseil de surveillance est par ailleurs constitué de quatre Allemands, deux Français, deux Suédois et un Britannique. Les UBO (Ultimate Beneficial Owner) de Hornetsecurity sont : Daniel Hofmann, citoyen allemand, PDG et fondateur de la société et Daniel Blank, citoyen allemand, COO de la société.

Par ailleurs, il est important de préciser que le « Patriot act » et le « Cloud act » ne peuvent être appliqués que pour une société immatriculée aux USA. Les actionnaires, en particulier minoritaires, n’ont bien entendu pas d’accès ni au code source (européen), ni aux opérations (effectuées en France), ni aux données (hébergées en France). Pas plus que n’importe quel actionnaire étranger du CAC 40.

Channelnews : Comment a été financée l’opération ?

Georges Lotigier : Hornetsecurity a pris la décision d’intégrer Vade dans le groupe et la majorité des actionnaires de Vade sont devenus investisseurs de Hornetsecurity. La transaction a été financée à plus de 96 % par Hornetsecurity, à l’aide de la trésorerie de l’entreprise et d’un emprunt bancaire.

Channelnews : Cette opération a-t-elle été dictée par une nécessité financière ? En effet, dans un article paru le 5 mars dans la rubrique Tribune du site du journal LesEchos titré le rachat de Vade est un coup à notre souveraineté, Yoann Dufour, le responsable pédagogique du Master cybersécurité de la Paris School of Technology Business écrit que : « après le procès intenté par ProofPoint à Vade aux Etats-Unis, [le rapprochement avec Hornet] semblait être « la seule issue pour éviter le naufrage ». Ce qui suggère que Vade n’était plus maître de son destin sur le plan financier. Pourtant, tout le monde pensait qu’après la levée de fonds de 28 M€ en 2022, Vade avait pu repartir du bon pied sans que ses comptes soient trop lourdement obérés par les 13,5 millions de dollars de dommages et intérêts que l’entreprise avait été condamnée à verser à Proofpoint l’année précédente ? L’affaire Proofpoint a-t-elle coûté plus

Georges Lotigier : Je ne comprends pas ce qui permet aux Echos de dire ce genre de chose ! C’est franchement gratuit et inacceptable. L’entreprise est saine. Certes, les coûts de procédure ont été énormes – proportionnels à la violence de l’attaque : environ 32 M€ en plus des 13,5 M€ de dommages et intérêts, soit au total un coût de 44 M€, qui ont été intégralement payés. Les 28 M€ levés y ont contribué partiellement, en complément de l’autofinancement de Vade, et de la constitution d’un niveau de cash suffisant pour une croissance organique.

Channelnews : Vous assurez que l’entreprise est saine. Mais un coup d’œil aux greffes du tribunal de commerce permet de constater que Vade a enregistré un résultat net négatif de 2,7 M€ pour 23,5 M€ de chiffre d’affaires en 2022. Qu’en est-il pour 2023 ?

Georges Lotigier : Ces chiffres sont exacts mais partiels : ils ne correspondent qu’a Vade France et intègrent des éléments exceptionnels notamment dus au litige. Nous avons une filiale au Japon, au Canada et aux USA. L’Europe représentait 55% des ventes en 2022, et le chiffre d’abonnement annuel récurrent (ARR) a été de l’ordre de 32 M€ sur l’exercice.

La société a clôturé l’année 2023 avec un ARR monde de l’ordre de 40 M€ (25% aux USA, 15% au japon, 45% en France). Le résultat consolidé 2023 apparent est proche de 0 parce que nous n’avons pas immobilisé un surinvestissement en R&D (fin 2022 et début 2023). Mais l’Ebitda du second semestre 2023 et l’Ebitda normatif 2023 sont positifs et tout à fait satisfaisants.

Au final, si l’on regarde depuis sa création en 2009, Vade a levé un total de 33 M€ d’Equity pour atteindre 40 M€ d’ARR en 2023 et une croissance de 26% sur la partie distribution Vade. Son EBITDA normatif tend vers les 20% actuellement et son niveau de cash est correct malgré les 45 M€ de coût de procédure payés. Je ne connais pas beaucoup d’entreprises qui ont cette rentabilité au du capital investi, surtout si l’on considère les freins subis.

Channelnews : L’affaire Proofpoint est-elle terminée ?

Georges Lotigier : Proofpoint considère que la peine est insuffisante – compte tenu de la santé et de la croissance de Vade –, et a fait appel de la décision du Jury populaire et de la juge fédérale californienne. Mais notre dossier étant très solide, nous n’avons aucun doute quant à l’issue de cet appel, qui est une procédure simplifiée et d’un coût tout à fait supportable désormais.

Channelnews : Pourquoi avoir finalement cédé aux sirènes d’Hornetsecurity ?

Georges Lotigier : Il était prévu d’autofinancer une croissance organique de 30% à 35% par an en 2024-2025-2026, comme Vade pouvait se le permettre, et de lever du financement LBO pour faire des acquisitions en Europe ou aux USA. Ceci afin d’accélérer la croissance en Europe (où nous étions peu présents en dehors de la France).

Nous avions déjà quelques cibles en cours de négociation lorsque nous avons rencontré Hornetsecurity, notre homologue allemand. Celui-ci avait la même stratégie mais avec déjà un peu d’expérience (huit petites sociétés acquises en trois ans) et un revenu consolidé de près du double de celui de Vade (soit près de 80 M€).

Le rapprochement avec Hornetsecurity, est donc un vrai choix stratégique de Vade en vue d’accélérer la création d’un leader européen, de technologie souveraine. Nous sommes fiers de former ensemble un Centaure (dont le CA dépasse les 100 M€) et une Licorne européenne (plus de 1 milliard d’euros de valorisation) dans le domaine de la cyber sécurité, avec un effectif de près de 700 personnes désormais, principalement basées en Europe.

Fondamentalement, je pense que les entreprises françaises cherchant à vendre dans les autres pays européens sont confrontées à un plafond de verre et que le seul moyen pour elles de réussir est de fusionner avec d’autres champions nationaux tels que Hornetsecurity partout en Europe pour acheter des géographies et des produits adaptés aux attentes des clients locaux.

Channelnews : En quoi vos deux entreprises sont complémentaires ?

Georges Lotigier : Vade est bien implanté en France, aux USA et au Japon, Hornetsecurity est forts en Allemagne, et s’est implanté par acquisition en Grande Bretagne, en Espagne, au Canada et en Australie. Vade a peu de produits, Hornetsecurity dispose d’une gamme étendue. Vade est fort sur la détection, Hornetsecurity l’est sur la prévention, la sécurisation, la crypto et la remédiation. Vade est bien implanté dans le monde entier auprès des opérateurs pour lesquels il sécurise plus d’un milliard de boîtes aux lettres mail. Hornetsecurity n’est pas seulement sur la protection de la messagerie mais également sur Sharepoint, Onedrive, etc. La réunion des deux entreprises débouche sur une gamme complète, très cohérente qui permettra de proposer un guichet unique (one stop shopping) aux fournisseurs de services infogérés. On a démarré l’adaptation des produits et la commercialisation commencera ce mois-ci.

À noter que les services qui seront ajoutés dans le futur par Hornetsecurity en France seront exclusivement hébergés dans des data centers français, assurant ainsi une souveraineté à 100%. Hornetsecurity a ainsi investi 3,8 millions d’euros dans l’extension du data center français depuis le début de l’année 2024, et l’a achevée à la fin du mois de février.

Channelnews : Quelles sont vos prévisions de croissance pour les prochaines années ?

Georges Lotigier : Hornetsecurity était sur une dynamique de 60% de croissance lors du rapprochement. Nous espérons faire ensemble +40 à 45% cette année. Nous misons sur le fait que le channel va avoir rapidement beaucoup plus de produits à vendre. À terme, on devrait atteindre 60% de croissance par an.

Channelnews : Conservez-vous des fonctions opérationnelles dans le groupe ?

Georges Lotigier : Non, je quitte mes fonctions opérationnelles mais je reste actionnaire (minoritaire) et membre du conseil de surveillance. Désormais, je vais me consacrer au développement de l’écosystème IT européen en facilitant d’autres rapprochements à l’échelle européenne.

Cette interview réalisée en partie sur le Forum inCyber le 26 mars puis complétée par échanges de mails dans les jours qui ont suivi.