Le rachat des serveurs x86 d’IBM par Lenovo a continué d’animer les conversations toute la semaine. Les tenants et aboutissants de l’opération vus par les principaux partenaires d’IBM.


Nous avons demandé à cinq des principaux partenaires d’IBM France de partager leur décryptage sur la cession des serveurs x86 IBM à Lenovo. Ils ont accepté, à condition qu’ils ne soient pas identifiables. Synthèse de leurs témoignages.

 

Pourquoi les serveurs x86 d’IBM sont en déclin ?

 

« C’est probablement à cause de la vente de l’activité PC, estime le directeur des opérations d’un gros intégrateur parisien. En renonçant à rester une « global company », IBM a en quelque sorte condamné son activité serveurs. »

 

« Il faut être réaliste, IBM ne savait pas bien traiter le midmarket où les prix et la vitesse sont déterminants, note pour sa part le directeur général d’un VAD. IBM est une entreprise de processus grands comptes. Elle ne peut pas courir vite. Il lui fallait donc changer de proie ou se passer de repas. »

 

« IBM n’était pas visible sur le terrain et n’avait pas la force commerciale en adéquation pour concurrencer efficacement Dell et HP, qui ont pris le dessus chez les clients », constate le directeur des opérations d’un gros intégrateur parisien.

 

« Les serveurs, considérés comme des produits de commodité, n’étaient plus dans la stratégie d’IBM depuis déjà des années, analyse le directeur alliance d’un revendeur grands comptes. Les ingénieurs d’affaires n’étaient pas incités à les vendre. Depuis un an, on avait même des difficultés à obtenir des cotations sur les prix. Probablement que le processus de vente était déjà engagé et qu’il fallait embellir la mariée. Je pense que la vente des PC à Lenovo leur a fait perdre énormément en termes de conditions d’achat sur les composants. »

 

Lenovo est-il capable d’enrayer le déclin des serveurs x86 d’IBM ?

 

Dans l’ensemble, tout le monde est d’accord pour dire que Lenovo a de bonnes chances de relancer l’activité serveurs « volume » d’IBM. Lenovo devrait lui apporter de la compétitivité grâce à son modèle industriel et à sa capacité à produire à bas coût. « Lenovo a selon moi le potentiel pour doubler les revenus de cette activité en France, se risque même à préduire le DG de notre VAD. Certes, il va y avoir une période troublée au départ. Peut-être que certains partenaires feront défection comme ce fut le cas après la vente des PC IBM. Mais la réalité, c’est que Lenovo est devenu numéro un mondial des PC, démontrant sa capacité à intégrer une équipe qui n’avait pas la même logique de fonctionnement, et à créer puis gérer un réseau mondial. Cela pourrait aller encore plus vite sur les serveurs car Lenovo a désormais un historique. »

 

Certains rappellent toutefois que Lenovo avait mis pas moins de deux ans après le rachat pour relancer le business PC d’IBM. Et cette fois la tâche risque d’être encore plus ardue compte tenu du fait qu’il va falloir acquérir des compétences sur le datacenter et le stockage.

 

D’ailleurs notre VAD admet que Lenovo aura probablement plus de difficultés à convaincre sur le haut de gamme, notamment sur les technologies iDataPlex ou PureFlex, qui s’insèrent exclusivement dans le cadre de projets complexes se chiffrant en centaines de milliers d’euros. « Quelle va être la capacité de Lenovo à traiter ces projets, notamment sur secteur public ? Dans quelle mesure va-t-il être capable de faire évoluer ces technologies ? », s’interroge-t-il.

 

Des questions que tout le monde se pose même s’il paraît évident pour chacun qu’en rachetant la marque et les lignes de produit, Lenovo a également acquis la capacité à les faire évoluer. Lenovo est donc perçu comme à même de redresser l’activité serveur d’IBM mais à condition de ne pas sacrifier la technologie, qu’il n’y ait pas trop de casse dans le transfert des équipes et qu’il parvienne à étoffer ses compétences avant-vente pour être crédible sur les projets structurants.

 

Est-ce une opportunité ou une menace pour votre business IBM ?

 

C’est le point noir. Certes pour notre VAD, cette opération constitue clairement une opportunité. « Je suis convaincu que les petits partenaires, notamment, vont être gagnants. Ils auront une une machine de guerre extraordinaire pour développer leur marché ». « Le marché a besoin d’un acteur qui ait la volonté de venir bousculer HP-Dell », renchérit le directeur commercial de corporate reseller. D’une manière générale, tout le monde estime que Lenovo sera certainement plus dynamique qu’IBM sur les serveurs volumiques.

« Il ne faut pas sous-estimer le pouvoir d’influence de la machine IBM pour gagner des affaires », nuance toutefois notre VAD. Une part importante du business dépendra vraisemblablement de la volonté d’IBM de jouer pleinement ou non son rôle d’OEM Lenovo.

 

Mais c’est surtout sur le haut de gamme que chacun se pose des questions. « Jusque-là, on pouvait encore aborder des projets d’infrastructures globaux avec IBM. Ce n’est plus le cas, regrette le directeur développement de notre VAR régional. Les activités qui restent vont en pâtir. Les clients veulent des marques qui s’engagent avec une offre globale. Notre périmètre de partenariat se réduit drastiquement. »

 

La menace existe sur toute l’offre hardware restée chez IBM y compris sur le stockage entrée de gamme. Les ventes en attachement de serveurs représentent l’essentiel du business stockage, souligne l’un de nos revendeurs grands comptes. Si IBM ne vend plus les serveurs, alors il ne vendra plus ses équipements de stockage. C’est probablement EMC et Netapp qui raffleront ces marchés. À moins que Lenovo joue son rôle d’OEM. Mais il faudra qu’il monte en compétence tout seul car les équipes resteront chez IBM. Pas simple.

 

Est-ce que cela peut précipiter le déclin du hard chez IBM et conduire ce dernier à se séparer des activités restantes ?

 

Malgré le déclin des plateformes Power personnes ne croit vraiment à un tel scénario. Une certaine frange de clients reste fidèle à ses infrastructures haut de gamme. Et celles-ci restent incroyablement rentables. Mais avec la vente des serveurs x86, le hard ne pèsera plus que 10% du CA. Cela risque d’affaiblir encore sa position dans le groupe.

 

Est-ce que cela risque d’affaiblir la position d’IBM chez les clients ?

 

L’annonce du rachat a le mérite de clarifier les choses pour les clients. Cela leur donne de la visibilité sur la stratégie. « Cela ne devrait pas changer grand-chose pour ceux qui voient les serveurs comme des infrastructures banalisées et qui misent plutôt sur l’applicatif pour gérer la criticité, explique notre directeur alliance. En revanche, ceux qui ont des projets structurants avec des architectures PureFlex se posent plus de questions sur la crédibilité de Lenovo et sur sa capacité à les accompagner. »

 

On notera au passage que le fait que les produits multi-plateformes restent en R&D chez IBM est plutôt considéré comme rassurant du côté client.

 

Est-ce une bonne affaire pour Lenovo ?

 

Incontestablement. Cela va permettre à Lenovo et à ses partenaires de rentrer dans comptes où ils sont absents faute d’infrastructures à son catalogue, souligne notre intégrateur francilien.

 

D’aucuns remarquent d’ailleurs que Lenovo a magistralement négocié. Alors que les négociations initiales portaient uniquement sur les systèmes x et les blades pour un prix estimé à 4 ou 5 milliards de dollars, le constructeur chinois a finalement emporté le morceau en divisant le prix par deux et en récupérant en prime toutes les technologies innovantes liées aux plateformes x86. IBM n’a probablement pas eu le choix, à voir l’accélération du déclin de ses activités hardware ces derniers mois (et plus particulièrement en Asie – Tiens ???).

 

Est-ce que le fait de répondre aux appels d’offres avec deux fournisseurs là où il y en avait un seul auparavant posera problème ?

 

« Non. On a l’habitude de travailler en consultation avec des produits soit vendus en OEM, soit intégrés par nous, note l’un des revendeurs grands comptes. C’est même plutôt un gage de pérennité. » « C’est notre vie de tous les jours, abonde son homologue. C’est plutôt l’hyperconcentration qui pose problème. Sur les grandes consultations le high-end et l’entrée de gamme font de toute façon l’objet de lots séparés. »

 

Nota : IBM a semble-t-il multiplié les initiatives ces derniers jours auprès de ses partenaires pour les rassurer sur la continuité du business et répondre à leurs questions.

 

La transaction avec Lenovo ne devrait pas être effective avant 6 à 9 mois