Les tensions protectionnistes menaçant l’activité des SSII indiennes pouvaient paraître dépassées. Du moins Barack Obama avait-il pu le laisser imaginer à l’automne dernier. Mais il n’en est rien.

 

Des soupçons d’abus autour des visas pour les Etats-Unis ont récemment jeté de l’huile sur le feu. Un feu déjà bien vivace et qui commence à s’étendre au Royaume-Uni.

Les tensions ont commencé début 2009, lorsque le Sénat américain a approuvé un texte imposant des restrictions à l’embauche de titulaires de visas H1-B dans le secteur financier, et tout particulièrement pour les banques recevant des aides de l’Etat. Toutefois, deux ans plus tôt, les SSII indiennes avaient déjà été malmenées par la réduction du quota de visas H1-B de 195 000 à 65 000 par an. Elles avaient averti leurs actionnaires du risque que pouvait faire peser sur leur activité le retour d’une certaine forme de préférence nationale aux Etats-Unis. Et s’étaient rendues à Washington pour défendre leur industrie. Mais voilà, fin août dernier, le couperet tombait : le coût des visas H1-B devrait gonfler, représentant une charge supplémentaire de 250 M$ par an pour les SSII indiennes. Lors d’une visite en Inde, à l’automne dernier, Barack Obama a joué l’apaisement, cherchant à rassurer les grands outsourceurs du sous-continent. Mais cela n’a pas suffi. Eux se sentaient particulièrement visés par des mesures officiellement conçues pour renforcer la limite contre l’immigration illégale à la frontière mexicaine : entre 2000 et 2009, 46,9 % des porteurs de visas H1-B étaient indiens.

Un phénomène marginal ?

Les demandes de visas de travail H1-B ont sensiblement reculé l’an passé – début janvier, seuls 89 % des 65 000 visas avaient été attribués. Les SSII indiennes imputent notamment ce recul à une volonté d’embaucher localement, aux Etats-Unis. Mais il serait manifestement erroné de le résumer à ce seul motif. Les contrôles, côté américains, seraient plus forts : selon Bhavtosh Vajpayee, de CLSA, les taux de rejet des demandes de visas H1-B ont doublé en un an, passant de 4 à 8 % pour les grandes entreprise. Un PDG de grande SSII indienne dénonce : «les motifs de rejet sont frivoles […] il y a eu entre 12 000 et 13 000 visas H1-B en 2010 [pour les SSII indiennes]; ce n’est pas ça qui affecte la création d’emplois aux Etats-Unis.» Du coup, l’Inde n’a pas hésité à revenir à la charge fin mars, demandant à son partenaire de reconsidérer sa politique, soit quelques jours avant que les Etats-Unis n’ouvrent les guichets des demandes 2011 de visas H1-B.
Accessoirement, selon CLSA, la plupart des visas H1-B accordés en 2010 seraient des extensions de visas antérieurs. Et les entreprises indiennes n’auraient finalement obtenu que 5 042 visas «neufs» en 2009, contre 12 810 en 2008, à peu près autant en 2007, et plus de 17 000 en 2006. De son côté, l’Inde avance d’ailleurs avoir accordé environ 31 000 visas de travail à des immigrants américains en 2008, et 13 300 en 2009. Bref, vu de l’Inde, il n’y aurait pas prédation mais équilibre.

Des soupçons qui font mauvais effet…

Mais voilà qu’un scandale potentiel est venu entacher le débat. Fin février, un salarié américain d’Infosys a déposé une plainte auprès d’un tribunal de l’Alabama, contre la SSII, affirmant que celle-ci a recours à des visas de visite – les visas B1 – pour envoyer travailler de manière durable aux Etats-Unis des salariés indiens. Et d’accuser également Infosys d’évasion fiscale. Parallèlement, Infosys est en outre accusé par un Américain de 58 ans de discrimination : dans l’annonce à laquelle son profil aurait pu correspondre, Infosys avait fixé une expérience maximale – 25 ans, pas plus. Pour l’Américain, cette restriction induisait de facto une discrimination sur l’âge. Actuellement, les deux affaires paraissent suffisamment sérieuses pour qu’Infosys ait prévenu ses actionnaires qu’une restriction de son accès aux visas H1-B, à l’issue des procédures en cours, pourrait nuire à son activité. Mi-avril, un câble diplomatique révélé par Wikileaks indiquait que les demandeurs de visas H1-B auraient largement tendance à «gonfler leur expérience, leur formation, ou les responsabilités projetées de manière à renforcer leur demande ».

Un protectionnisme qui s’étend

Aux Etats-Unis, début janvier, la National Foundation for American Policy s’était inquiétée de ce que la récente augmentation des frais des visas de travail américains ne risque de violer les règles de l’OMC. Mais depuis, rien de nouveau sur ce front, sinon que le US India Business Council est monté au créneau pour relayer le message, début avril. Par sûr qu’ils trouvent, auprès de Barack Obama, une oreille très attentive en cette période : début mai, en visite dans une usine d’Indianapolis, il déclarait ainsi : «je ne veux pas que les nouvelles avancées technologiques et que les nouvelles productions aient lieu en Chine ou en Inde. Je veux voir tous ces nouveaux emplois ici, dans l’Indiana, aux Etats-Unis ».
En Europe, les sirènes qui ont su se faire entendre outre-Atlantique ont entamé leur chant : le Public Accounts Committe of the House of Commons, sorte de Cour des Comptes britannique, a indiqué, mi-mai, être préoccupé par le «manque de contrôle» de l’immigration de travail, notamment des ressortissants indiens, selon une méthode largement employée par les SSII du sous-continent, celle de la mobilité interne à l’entreprise. TCS serait le premier concerné, suivi de Cognizant, de Wipro, de Tech Mahindra – ancienne captive de British Telecom… -, HCL, et Steria.