Face à l’effondrement de leurs revenus, les opérateurs mobiles, notamment Bouygues et SFR, ont massivement taillé dans leur réseau de distribution. Mais tellement brutalement que ceux-ci commencent à se retourner contre eux.


L’épisode Tel and Com vient encore de le rappeler : depuis deux ans, les fermetures de boutiques télécoms se multiplient. La conséquence de l’effondrement des prix survenu dans la foulée de l’arrivée de Free Mobile sur le marché début 2012. L’une des premières sources d’économies qu’ont trouvé à faire les opérateurs, qui n’avaient apparemment pas anticipé cette arrivée, ni cru à un retournement si brutal du marché, c’est tailler dans leurs coûts de distribution. Notamment en fermant des boutiques. Une décision d’autant plus aisée à mettre en œuvre que SFR et Bouygues avaient fait le choix de s’appuyer en grande partie sur des réseaux de distributeurs indépendants.

Ainsi, alors qu’en 2011 SFR exhortait encore ses partenaires à ouvrir de nouveaux points de vente pour coller à Orange qui convertissait le réseau Photo Service en boutiques télécoms, en 2012 ces derniers ont commencé à recevoir des avis de non renouvellement de leur contrat de distribution. Même phénomène dans le réseau Bouygues. Les premiers touchés ont été les réseaux multi-opérateurs tels The Phone House, qui a fermé 250 boutiques dès la fin 2013-début 2014. Mais, en parallèle, un grand nombre d’Espaces SFR et de Clubs Bouygues Télécoms indépendants, ont été évincés. Les spécialistes estiment que les réseaux de Bouygues et de SFR ont déjà fondu de moitié occasionnant la fermeture de centaines de boutiques et des pertes d’emplois en milliers. Et cela devrait continuer cette année et l’année prochaine.

Des distributeurs totalement dépendants des opérateurs

Pour les opérateurs, ces distributeurs sont assez faciles à éliminer dans la mesure où ceux-ci leur sont totalement dépendants, l’opérateur étant à la fois leur seul fournisseur et leur seul client. En effet, ils n’ont pas d’informatique propre, ils utilisent celle de l’opérateur. De même, leur stock ne leur appartient pas. Pas plus que les clients. Une fois leur contrat perdu, ils ne sont même plus en mesure d’ouvrir des lignes, ce qui rend leurs chances de survie parfaitement nulles.

Evidemment, aucune espèce de compensation, ni d’indemnisation n’est prévue dans ce cas (du moins chez Bouygues Télécom et SFR, Orange étant, selon nos informations, plus arrangeant). Les opérateurs ont verrouillé leurs contrats de sorte à éviter que leurs distributeurs puissent pas se prévaloir d’un statut de mandataire d’intérêt commun ou d’agent commercial qui, dans les deux cas, impliquent indemnisation en cas de séparation.

En revanche, ce sont eux qui supportent les coûts de licenciement des salariés, la perte de valeur des fonds de commerce (devenus invendables), le remboursement des investissements non encore amortis, etc. De fait, beaucoup y laissent leur chemise, notamment les partenaires SFR, ce-dernier ayant continué d’encourager les ouvertures jusqu’en 2011 sur la base de business plans qui se sont révélés par la suite totalement décorélés des nouvelles conditions de marché.

C’est évidemment tout « bénef’ » pour les opérateurs. Ceux-ci gardent la clientèle fidélisée mais n’ont plus à payer les commissions sur les abonnements (le fameux AirTime). Au mieux, ils rebasculent le suivi des parcs ainsi récupérés sur d’autres distributeurs qu’ils rémunèrent dès lors l’acte et non plus sur le récurrent.

Les distributeurs se rebiffent

Evidemment, cela n’est pas du goût des distributeurs évincés qui multiplient les procédures. Voulant à tout prix éviter qu’ils soient assimilés à des agents commerciaux ou des mandataires d’intérêt commun, les opérateurs ont laissé leur statut dans le flou. Et compte tenu des contraintes qui leur ont été imposées – exclusivité à l’opérateur, process intangibles, concept de magasin, tenue vestimentaire, impossibilité de fixer les prix – les partenaires n’ont aucun mal à faire requalifier leur statut en salarié ou, lorsque le lien de subordination ne peut pas être prouvé, en gérant de succursale (ce qui revient au même, voir à ce sujet l’article de MiroirSocial), et à obtenir plusieurs années de salaires et de fortes indemnités de licenciements.

Défendus par l’avocat spécialisé Frédéric Michel, plusieurs dirigeants d’Espace SFR ont obtenu des jugements favorables, confirmés par des arrêts de la Cour de Cassation. Et en vertu du principe du co-emploi, les salariés des distributeurs attaquent à leur tour arguant de licenciements sans causes réelles et sérieuses. Des distributeurs Bouygues Télécoms nous ont confirmé avoir entamé des procédures comparables. Pour être tout à fait complet sur ce chapitre, on notera que SFR essaye actuellement de récupérer ce qu’il perd aux Prud’hommes en poursuivant ses partenaires devant les tribunaux de commerce .

Baisse des rémunérations des revendeurs et désaffection des clients

Les distributeurs dont le contrat a été renouvelé ne sont pas pour autant logés à meilleure enseigne. Que ce soit dans les réseaux Bouygues ou SFR, beaucoup se plaignent en effet de ne tout simplement plus pouvoir payer leurs charges. « La situation est grave, explique l’exploitant d’une boutique dans le Sud-Est de la France. Les rémunérations ne sont plus acceptables pour couvrir les frais fixes ».

De fait, partout, les Airtimes ont progressivement été renégociés à la baisse jusqu’à disparaître totalement dans certains cas (notamment pour une partie des partenaires Bouygues). Un ex-distributeur SFR estime ainsi que la rémunération que l’opérateur verse à ses boutiques a été divisée par trois ces dernières années. Un autre estime que sa marge baisse de 10% par an alors que son chiffre d’affaires progresse de manière inversement proportionnelle.

Particulièrement épinglée également, la politique commerciale de SFR. L’un de ses partenaires installé dans le Sud-Ouest la qualifie même de suicidaire. « Les offres que l’on nous demande de vendre ne sont pas du tout compétitives. Et on est censé placer des offres à forte valeur quand les clients recherchent des prix. Du coup, ces derniers ne sont pas au rendez-vous ». Du moins en boutique car ils ne sont pas perdus pour l’opérateur qui concurrence son propre réseau en direct avec ses offres Red. Autant dire que la méthode a laissé des traces.

Vers un étouffement financier du réseau

Résultat, « certains commencent à sortir des bilans négatifs », constate le patron de l’Espace SFR mentionné dans le Sud-Ouest. Celui-ci n’hésite pas à parler de véritable étouffement financier des distributeurs indépendants. Illustration de cette situation : la société OLMI, l’un des Espace SFR les plus en vue de la capitale, qui exploite notamment les boutiques du boulevard Saint-Michel et de la rue de Sèvre, est en redressement judiciaire depuis septembre dernier avec un passif estimé à 2 M€. Un cas non isolé qui fait tâche pour l’image de la marque.

Tous sont très pessimistes pour les mois et années à venir. « Cette fin d’année va être terrible. La baisse des rémunérations nous condamne tous à fermer », se désole notre revendeur du Sud-Est. « À l’avenir, il n’y aura plus de boutiques physiques. À la rigueur des showrooms. Mais toutes les transactions se feront par Internet », estime un ex-revendeur Bouygues Télécom. Une façon de dire que seuls vont subsister les réseaux de boutiques en propre.

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