Par Christophe Le Jeune, directeur général d’Alfa Safety

Ex-directeur général infogérance de l’intégrateur nantais Sigma Informatique, Christophe Le Jeune s’est lancé dans l’aventure entreprenariale début 2015 en reprenant l’hébergeur nantais Alfa Safety, une entreprise de 8 salariés réalisant 650 K€ de facturations annuelles. Partenaire d’Amazon Web Services et très en pointe sur la virtualisation, l’externalisation d’applications, la performance applicative ou la haute disponibilité, Alfa Safety adresse une clientèle de PME et d’ETI locales et enregistre une croissance annuelle de 30%. Christophe Le Jeune prend régulièrement la parole pour faire passer ses convictions et expliquer ses choix technologiques au marché.

Il y a peu, Oracle a indirectement annoncé une augmentation des coûts de licences de sa base de données lorsqu’elle tourne sur des machines virtuelles hébergées dans le cloud. Un tour de passe-passe qui va permettre de doper son chiffre d’affaires sans vendre plus. Jusqu’ici, un CPU de machine virtuelle équivalait à un demi CPU physique dans la grille tarifaire Oracle. Désormais, les licences Oracle pour le cloud vont donc couter deux fois plus cher !

Mais pour Oracle, il s’agit moins de vendre plus cher que de rendre les offres de cloud public concurrentes moins compétitives que la sienne. Lors de la dernière grand-messe d’Oracle, Larry Ellison avait clairement désigné l’adversaire à abattre : Amazon Web Services. Rendre les coûts de son adversaire plus élevés est un moyen efficace et rapide de se ménager un avantage concurrentiel. Mais ce n’est pas forcément une stratégie gagnante !

Car cette annonce est révélatrice d’un vrai danger pour le Cloud public : une guerre des licences logicielles qui pourrait s’assimiler à un protectionnisme des éditeurs engagés sur le Cloud.

Pour déployer ses applications sur un cloud, le client a besoin de licences logicielles et en particulier de licences middleware (OS, bases de données, et autres outils applicatifs indispensables au fonctionnement de ses applications). Or un certain nombre des grands acteurs du Cloud figurent aussi parmi les principaux éditeurs mondiaux. C’est le cas de Microsoft, avec son OS Windows Server, sa base de données SQL Server, mais aussi tout un ensemble de logiciels de développement qui ne tournent que sous Windows Server. C’est aussi le cas d’Oracle, qui est le leader mondial des bases de données, mais aussi d’un bon nombre d’ERP.

Microsoft a toujours su inventer des règles de licences complexes ayant pour effet de défavoriser l’hébergement de ses solutions sur les autres plateformes cloud que la sienne. De nombreuses infrastructures cloud mutualisées seraient pourtant plus avantageuses pour les clients.

On ne peut s’empêcher de craindre un mouvement où les éditeurs de logiciel également présents sur le Cloud se mettraient à défavoriser outrageusement l’hébergement de leurs solutions sur les clouds publics concurrents. Une tentation assimilable à du protectionnisme. Cette politique du chacun pour soi des différents clouds publics comporterait des inconvénients majeurs pour les sociétés utilisatrices, notamment les plus petites, en les contraignant :

  • à disperser leur système d’information sur différents clouds en fonction des logiciels qu’elles utilisent,
  • à aller sur des clouds qui ne répondent pas complètement à leurs besoins, juste parce que les règles de licences y sont plus favorables,
  • à accroître leur dépendance vis-à-vis d’éditeurs dont elles ont déjà la sensation d’être dépendants,
  • à migrer leurs logiciels vers d’autre Cloud à chaque fois qu’elles changent de logiciel.

Tout cela est difficilement concevable, et on voit bien qu’une telle hypothèse présenterait un risque mortel pour le Cloud public. Les difficultés de réversibilité sont déjà aujourd’hui une préoccupation et une objection à l’égard du Cloud. Les clients deviendraient franchement réticents à l’idée d’y migrer leur système d’information si une guerre des licences risquant d’aggraver leur dépendance vis-à-vis des éditeurs se matérialisait.

Si cela devait arriver, il est probable que les entreprises reviendraient à des solutions plus classiques de type cloud privé, plus souple, moins contraignant d’un point de vue licences, et davantage sous leur contrôle. Pour le bon développement du Cloud public, il est essentiel que les règles de licences restent neutres et permettent aux clients finaux d’organiser leur système d’information comme ils l’entendent.

Le Cloud public est un formidable vecteur de croissance pour le marché de l’informatique en facilitant les projets, les nouveaux déploiements et le développement de nouveaux services numériques. Les éditeurs ne doivent pas se tromper de bataille, ils doivent faire le pari que la croissance du cloud tirera celle de l’utilisation de leurs logiciels. Ce n’est pas en obligeant leurs clients à venir s’héberger sur leur propre cloud qu’ils seront gagnants, mais bien en proposant une offre logicielle concurrentielle.