Fin avril, Cheops Technology a stupéfié le marché en annonçant le lancement d’une solution de migration de base de données d’Oracle vers PostgreSQL et surtout en exhortant les clients d’Oracle à migrer vers PostgreSQL. Pas de quoi fouetter un chat en soi. Venant d’un champion de l’open source ou même d’un grand client de l’éditeur, cette injonction à quitter Oracle n’a rien d’inhabituel. Le Cigref dénonce depuis des années les « comportements commerciaux inadmissibles » de l’éditeur. Mais ce qui est tout à fait inédit, c’est qu’un de ses partenaires de premier plan appelle ouvertement à quitter Oracle. Pour justifier son coming-out, Nicolas Leroy-Fleuriot explique ne plus pouvoir cautionner la politique d’audits agressive qu’Oracle fait subir à ses clients. Selon lui, après des années de cette politique, un client sur trois serait désormais mûr pour quitter Oracle.

Plusieurs études semblent lui donner raison. Fin 2016, un sondage réalisé par EuroCIO auprès de 100 DSI d’entreprises européennes majeures montrait qu’un DSI sur deux travaillait sur une stratégie de sortie d’Oracle (source). Plus récemment, en juin 2018, la banque JP Morgan a rendu publique une enquête auprès de 154 directeurs informatiques étasuniens montrant pour la première fois que leurs intentions de dépenses en produits et services Oracle étaient en chute. « Dans nos discussions, les DSI ont précisé qu’ils migraient leurs bases de données Oracle vers Microsoft SQL Server, Amazon et PostgreSQL », expliquait alors l’analyste Mark Murphy (source). Enfin, en mai dernier, Rimini Street a interrogé 205 décideurs informatiques et commerciaux clients d’Oracle qui ont assuré à 53% prévoir de réduire leurs dépenses auprès de la société (source).

Dans ces conditions, est-on aux prémisses d’une vague de migrations d’Oracle vers d’autres SGBD et notamment vers PostgreSQL, la base de données relationnelle et transactionnelle open source considérée comme la plus proche de la norme SQL à laquelle se conforme Oracle ? Les experts que nous avons interrogés s’accordent sur le fait que le marché PostgreSQL est très porteur, avec une croissance de l’ordre de 30% par an. Mais ils ne se risquent pas à relier directement cet engouement à la lassitude éprouvée par les clients Oracle vis-à-vis de la politique commerciale de l’éditeur.

« Depuis un an ou deux, on constate un intérêt très marqué des grands comptes, notamment de secteur de la banque/assurance mais aussi du secteur public et de la grande distribution pour PostgreSQL. Autrefois très frileux, ces clients y vont désormais franchement », explique Philippe Beaudoin, consultant avant-vente chez Dalibo, une société d’expertise pure player PostgreSQL. Mais cet engouement bute sur le manque de solutions standards supportant PosgreSQL. Aujourd’hui, le champ potentiel des migrations reste limité à celui des applications internes dont les clients maîtrisent le code source tant que les éditeurs n’auront pas engagé le portage de leurs applications vers PostrgreSQL, explique-t-il en substance.

« Sur le terrain, les clients nous disent qu’il y a des décisions politiques pour abandonner Oracle au motif que l’éditeur leur coûte trop cher, abondent Stéphane Schildknecht et Hugues Obolonsky, dirigeants fondateurs de Loxodata, autre société d’expertise spécialisée sur PostgreSQL. Mais en pratique, ils constatent que leurs clients viennent de tous les SGBD propriétaires du marché y compris de Microsoft SQL même s’ils notent qu’il y a « plus de mouvement en provenance de DB2 et d’Oracle »Surtout« cela fait des années que les clients cherchaient des solutions techniques alternatives fiables à leurs solutions propriétaires. L’engouement pour PostgreSQL s’explique aussi par la réversibilité qu’offre l’open source à l’heure où les données deviennent valorisables et que les entreprises prennent conscience qu’elles doivent en garder la maîtrise. Or la réversibilité n’est pas la première garantie des éditeurs propriétaires. » L’intérêt pour PostgreSQL n’est donc pas propre aux clients Oracle.

Même son de cloche de Gilles Knoery, directeur général de Digora, un gros partenaire d’Oracle, qui est d’accord pour dire que les clients sont bien dans une posture de « tout sauf Oracle » pour leurs nouveaux projets mais qu’ils n’envisagent pas réellement de se convertir à d’autres SGBD pour leur existant. Selon lui, la raison en est simple : le retour sur investissement ne serait pas probant en raison notamment de la difficulté à sortir les licences des contrats de support. « Le résultat est loin d’être garanti à l’avance lorsque l’on se lance dans un tel chantier ».

Il note au passage que les grands clients tels Carrefour et EDF, qui avaient publiquement pris leurs distances avec Oracle il y a quelques années, non seulement n’ont pas quitté Oracle mais se sont réengagés depuis. Malgré leur défiance, les clients seraient aussi très intéressés par sa base de données autonome que les rumeurs annoncent capable de tourner prochainement sur des infrastructures Exadata sur site.

Gilles Knoery estime toutefois que le véritable danger pour Oracle se situe dans la position qu’adopteront à terme des éditeurs, « qui réfléchissent tous à sortir de son emprise ».  Un avis que partage Philippe Beaudoin, qui constate que de nombreux éditeurs ont engagés ou réfléchissent à porter leur solution sur PostgreSQL. Le changement, s’il se concrétise, viendra donc des éditeurs.