Eric Schmidt quitte Google en janvier 2018 après avoir mené à bien une superbe réalisation. Fruit de la vision de Larry Page et Sergey Brin ainsi que de sa propre obsession, quel peut bien être l’avenir de la firme de Mountain View ? Plateforme publicitaire ayant des parts de marché de plus de 90% sur le secteur le plus lucratif des media, elle résiste de façon agressive à toute application des lois anti-concurrentielles.

Le génie de Google était présent dès le 1er jour, en septembre 1998, quand les étudiants de Stanford Sergey Brin et Larry Page ont conçu un nouvel outil web, nommé moteur de recherche, qui pouvait fouiller automatiquement le web à la recherche de mots clefs. Mais ce qui a rendu possible l’ascension de Google a été le recrutement d’Eric Schmidt comme CEO. Ce scientifique, devenu homme d’affaires, avait fait ses classes chez Sun Microsystems et Novell. Ces deux entreprises s’étaient battues contre Microsoft – et avaient perdu. Schmidt avait juré que cela n’arriverait plus jamais.

Bill Gates devint la grande baleine blanche de Schmidt et Google son Pequod

Il est facile d’oublier que, jusqu’à ce que Google arrive, Microsoft n’avait jamais été défait. Des centaines de sociétés avaient essayées – même Netscape, avec l’un des produits les plus originaux de l’histoire de la Tech – et elles en étaient mortes. Microsoft a prouvé que le Moloch pouvait danser.

Google, avec un seul produit (qui fasse de l’argent), a réussi à changer le monde et l’entreprise a tout mené de façon remarquable. Le nom bizarre et une page d’accueil simple, une recherche honnête, non influencée par les annonceurs, un apparent manque d’intérêt pour d’autres marchés et des fondateurs attachants. Tout cela a participé à rendre Google attractif pour ses utilisateurs et apparemment inoffensif pour ses concurrents potentiels (tels que la Presse) jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour eux. Google a renforcé tout cela avec des déclarations Peace & Love telles que « Don’t Be Evil » et des images d’employés dormant avec leur chien au bureau.

Mais derrière ce paravent Google a mis en oeuvre l’une des stratégies les plus ambitieuses qui ait existé.

Organiser toute l’information au niveau mondial. Capter et contrôler tout emplacement où pourrait se trouver cachée toute information intéressante qui pourrait être portée par le web. Google a su faire uniquement cela (le reste est de la poudre aux yeux), avec obstination. Cela a débuté avec les informations déjà présentes sur le web – il ne pouvait se les approprier mais il pouvait en devenir le portail. Ensuite il est allé sur toutes les informations cartographiques (Google Maps), astronomiques (Google Sky), géographiques (Google Earth, Google Ocean). Puis il s’est mis à capter les contenus de tous les livres épuisés (Google Library Project) et enfin, gratuitement, le travail des journalistes (Google News). De nature insidieuse, l’absorption de toutes les informations du monde pris place au vu et au su de tous – et ses victimes potentielles ne s’en rendirent compte que trop tard. Ainsi le contrôle du savoir par Google est si complet, et les barrières à l’entrée si importantes (regardez le succès marginal du moteur de recherche de Microsoft, Bing ou Qwant) qu’il risque de rester dans cette position pendant des années.

Les entreprises du monde entier envient la position de Google à l’épicentre du monde digital

Malgré une organisation inintelligible, des règles d’indexation inconnues, un système d’enchères publicitaires opaque, l’entreprise bénéficie de la confiance absolue de ses utilisateurs (qui lui confient tous leurs secrets intimes) et de ses clients publicitaires (qui lui confient leur argent et suivent leurs rendements sur un outil fourni – gratuitement – par Google).

La face sombre d’un outil de recommandation en situation de monopole

Pourtant Google a prouvé sa brutalité, que ce soit envers ceux qui ont enfreint ses lois, tels BMW ou JCPenney, qui ont été déréférencés, ou ceux dont les intérêts économiques lui étaient contraires, tels les comparateurs de prix, jugés néfastes à partir du moment où Google propose cette fonction (Google Shopping). Google nous a menti (tout comme Facebook) au début de la décennie quand il a promis qu’il ne partagerait pas nos informations personnelles entre ses différents silos : de Google à Gmail, à Youtube, à DoubleClick, à Android. Je citerai enfin pour mémoire son mensonge originel selon lequel l’information est libre et gratuite. Ce comportement est d’autant plus inquiétant que la firme aux 3,5 milliards de recherches par jour n’est plus un « simple » moteur de recherche mais un outil de recommandation qui influe sur les prises de décisions de 2 Mds d’utilisateurs. Cette prise en main de nos choix va se trouver décuplée avec la reconnaissance vocale puisque nous ne verrons plus les choix existants. Nous ne prendrons en compte dans nos décisions que les recommandations vocales de Google Assistant. Ainsi Google, tout comme son concurrent haï Amazon, vont siffler en 2018 la fin des marques de grande consommation qui, tout comme la Presse, n’a rien vu (voulu voir) venir. Or, avec une part de marché de plus de 90% Google est tellement puissant qu’il est indétrônable et ne peut être concurrencé. Les amendes, même en milliards, ne lui font aucun effet – voyez celle de 2,4 Mds d’€ de l’Union Européenne en juin 2017, elle n’a fait ni baisser le cours de son action ni ciller son management.

Ma Bell et Microsoft

Si nous regardons le passé pour nous aider à réfléchir sur l’avenir, nous ne trouvons que deux parallèles avec la situation actuelle de Google : Ma Bell et, ironiquement, Microsoft. Ma Bell, en position monopolistique, a été démantelée par le législateur américain en 1983. Après tout, un moteur de recherche est devenu tout aussi nécessaire – d’utilité publique – que le téléphone. En situation hégémonique en Europe – sans aucune retombée économique notable sur le territoire, l’Union Européenne ira-t-elle jusqu’à interdire Google au vu du Règlement Général sur la Protection des Données en vigueur au 25 mai 2018 ? De son côté, Microsoft, à force d’étouffer tous ses concurrents potentiels au berceau a d’autant plus facilement ému le législateur pour le contraindre que son arrogance – une habitude dans le monde de la Tech – a rendu l’entreprise détestable aux yeux de tous.

Sans la décapitation du roi Charles 1er, Louis XVI aurait sans aucun doute gardé sa tête… sans parler de la proximité entre la roche Tarpéienne et le Colisée.

La puissance incomparable de Google est-elle l’annonce de son déclin ?

À propos de l’Auteur

Jean-Paul Crenn (ISG, MBA HEC) est fondateur et dirigeant de VUCA Strategy, un cabinet de conseil spécialisé en e-commerce et en transformation digitale. Il est enseignant auprès de l’ESCP Europe, de la Toulouse School of Management et de la Toulouse Business School. Il conseille les directions générales de PME, ETI, d’entreprises du CAC 40 dans leur transformation digitale. Il est le co-auteur de l’ouvrage de référence sur le e-Commerce, “le VADOR”, qui en est à sa 2ème édition. Plus récemment, Jean-Paul Crenn a publié un ouvrage aux Editions Kawa intitulé « L’Internet des Objets : La 3ème révolution Informatique ».