Depuis les premiers PC jusqu’aux derniers rançongiciels, les revendeurs informatiques ont fait preuve d’une remarquable capacité d’adaptation. Tout en développant des compétences éminentes dans de nombreux domaines critiques, ils sont passé d’un modèle fondé sur la revente, l’installation et la maintenance de produits à un modèle fondé sur la fourniture de solutions, les services managés, le conseil et autres activités génératrices de revenus récurrents.
La seule chose qui était restée relativement constante était la façon dont les clients, souvent représentés par leur département informatique, géraient leurs achats. Aujourd’hui, poussé par le Cloud et l’adoption croissante des applications SaaS, ce processus d’achat client est bouleversé.
29% des décisions d’achats IT sont prises sans aucune implication de la DSI
Forrester estime que plus de 65% des décisions d’achat IT sont actuellement influencées ou prises par les directions métiers. De plus en plus, les ventes, le marketing, les finances, les opérations et les ressources humaines s’approprient leur transformation digitale. Plus de la moitié (52%) des directions utilisent leur propre budget pour leurs achats technologiques. Et 29% de ces décisions d’achats sont maintenant prises sans aucune implication du département informatique. Un chiffre à la hausse.
Ces directions métier élaborent et opèrent ces solutions avec peu ou pas d’assistance interne. Point important pour les partenaires et les fournisseurs : 58% de ces nouveaux décideurs confient des tâches telles que l’intégration, la mise en œuvre, la sécurité, la sauvegarde, la conformité ou la reprise après sinistre à des ressources externalisées.
Autre facteur de transformation, les comportements d’achat très différents de ces directions métier. Si la majorité construit de solides partenariats pour les accompagner dans tous les aspects de leur décision d’achat, 73% préférent faire affaire directement avec le fournisseur. Le niveau de fonctionnalité en libre-service de la solution peut fortement influencer la décision d’acheter ou non. Et dans le monde du Cloud et du SaaS, prendre une marge sur une transaction est considéré comme est une relique du passé.
Au cours des 18 derniers mois, nous avons noté que les directions métier font de plus en plus appel à une nouvelle catégorie d’influenceurs, ceux que nous appelons les nouveaux canaux (shadow channels), autrement dit les éditeurs de logiciels indépendants, les fournisseurs de services nés dans le Cloud et les startups.
Les 4 problématiques majeures du channel
Pourquoi les experts prédisent-ils l’effondrement des canaux de distribution traditionnels ? Voici les quatre problématiques qui les affectent le plus :
- Le manque de compétences en vente et en marketing. Comme le livre de Michael Gerber – The E-Myth Revisited: Why Most Small Businesses Don’t Work and What to Do About It (Les e-mythes revisités : pourquoi la plupart des petites entreprises ne marchent pas et que faire pour y remédier) – le décrit magistralement, la plupart des prestataires IT adressant le marché des PME sont des techniciens dans l’âme et n’ont pas fait en sorte d’acquérir les compétences nécessaires en vente et en marketing pour faire grandir leur activité. Aujourd’hui, avec 10 fois plus de décideurs potentiels chez les clients, cette faiblesse est amplifiée. La plupart des fournisseurs IT (éditeurs et constructeurs) font également preuve d’un défaut de compétences commerciales et marketing. Ils se concentrent trop sur le directeur des achats informatiques et présument que leurs produits et services restent toujours aussi pertinents dans le monde d’aujourd’hui.
- Les fondamentaux de l’économie. Avec la banalisation et la consumérisation des technologies de l’information au cours de la dernière décennie, la diminution constante des marges, des incitations financières et du rendement du capital investi a poussé de nombreux partenaires à l’insolvabilité. Les nouveaux canaux fonctionnent différemment. Ils ne s’appuient pas sur les marges avant ou arrière, les fonds de participation marketing ou les bonus en tous genres distribués par les fournisseurs. Ils se concentrent sur les services d’intégration et de mise en œuvre en aval des achats. Des services qui génèrent quatre fois plus de revenus que les souscriptions de services cloud et des marges substantielles (80% ou plus dans certains cas).
- Le manque d’hyper-spécialisation – Les directions métier recherchent un niveau d’expertise avancé. Dans ce nouveau monde, la segmentation par taille de client, par secteur d’activité, par géographie et par type d’application a remplacé la verticalisation. Cela nécessite des compétences approfondies liées aux métiers proprement dits. Ces nouvelles compétences sont ce que les entreprises valorisent le plus aujourd’hui.
- La volonté de changer. L’industrie informatique vieillit. De nombreux partenaires traditionnels ont démarré dans les années 80 avec IBM, Apple ou Compaq, ou au début des années 1990 avec Microsoft. Mais il y a eu un changement fondamental au cours des dernières années. Les milléniaux se ruent sur les nouvelles opportunités dans le shadow channel et ne remplacent plus les partenaires traditionnels qui prennent leur retraite. Sans compter que l’informatique ne fait pas partie des industries les plus attractives pour les jeunes diplômés aujourd’hui (selon CompTIA).
Principaux défis à venir
La transition vers les applications SaaS est plus difficile que l’ajout d’une nouvelle expertise à son catalogue. Cela peut même être plus difficile que de changer de modèle économique. N’importe quelle entreprise verrait un défi majeur dans la nécessité de multiplier ses efforts de vente et de marketing par un facteur 10. Combiné au niveau de spécialisation exigé par les directions métier, la transition peut être une épreuve insurmontable pour les prestataires IT les mieux préparés.
L’industrie IT est à un point d’inflexion. Lorsque l’on considère les quatre facteurs mentionnés ci-dessus, il est tentant d’y voir la mort programmée du channel IT traditionnel. Les prestataires informatiques vont être amenés à travailler avec une plus grande variété d’interlocuteurs, aux préférences, aux motivations, et aux niveaux d’exigence complètement différents. Cela va profondément les remettre en question.
Pour ceux qui se placent dans une perspective de croissance ces cinq prochaines années, quatre options s’offrent à eux. Ils peuvent commencer par dresser la liste de leurs succès clients les plus récents, et chercher à cibler des opportunités similaires. Une autre option consiste à s’associer avec des sociétés du shadow channel déjà engagées avec leurs clients et prospects. Le troisième choix est d’acquérir (ou d’être acquis par) une autre entreprise pour développer l’activité et acquérir les ressources que valorisent les directions métier.
Et la quatrième option ? Ils peuvent maintenir le cap et continuer d’améliorer leurs services traditionnels. Avec le vieillissement de la concurrence et de la consolidation, il y aura toujours des opportunités les acteurs progressistes du channel.
Un mix de ces quatre options paraît la voie la plus logique. Mais ne vous y trompez pas, comme cela a été le cas pendant des années, le channel conservera sa résilience dans ce nouveau voyage.
À propos de l’auteur
En tant qu’analyste principal Global Channel chez Forrester, Jay McBain dirige les études et le conseil du département canaux de distribution, alliances et partenariats de Forrester. Il s’est notamment spécialisé sur des thématiques telles que le marketing B2B, les modèles émergents de go to market, les ventes indirectes, le recrutement et l’animation de canaux de distribution…
Cette tribune est une adaptation d’une tribune parue sur ChannelProNetwork en septembre dernier.