A l’occasion du GreenTech Forum, nous avons rencontré Jean-Paul Chapron, président d’ASI et délégué régional de Numeum, ainsi que Nicolas Georgeault, directeur de l’offre et de l’innovation d’ASI. Entretien à deux voix.

Channelnews : Le secteur de l’IT est en croissance malgré la crise sanitaire. Pourtant les ESN peinent à recruter. Comment l’expliquez-vous ?

Jean-Paul Chapron : Les jeunes diplômés des écoles d’ingénieurs sont de moins en moins attirés par la perspective d’une carrière dans un grand groupe. Ils ressentent l’urgence climatique et regardent la performance environnementale et sociale d’un employeur tout autant que sa performance financière. Si je me réfère aux étudiants de l’Ecole Centrale à Nantes : il y a 5 ans, 80% des centraliens diplômés partaient vers les grands groupes. Aujourd‘hui, la tendance s’est inversée. 80% des centraliens partent vers des PME actrices du changement et vers des sociétés engagées, à mission. Cette nouvelle exigence est une vraie tendance de fond.

Channelnews : Cette tendance va-t-elle en votre faveur ?

Jean-Paul Chapron : Oui, d’une certaine façon, car ASI est une ESN engagée dans une démarche de RSE depuis plus de 10 ans. Nous étions d’ailleurs parmi les 10 premiers signataires de l’initiative Planet Tech’Care. Notre turnover reste élevé, autour de 17%, comme dans la plupart des sociétés de service, mais il est certainement atténué du fait de nos actions en faveur d’un numérique plus responsable.

Nicolas Georgeault : J’ajouterai que, de notre point de vue, le numérique responsable n’est plus une option aujourd’hui. Il est à intégrer dans notre mode de pensée pour tous les projets, avec tous nos clients.

Jean-Paul Chapron : A ce sujet, les outils comptables commencent à intégrer ces dimensions et ne se concentrent plus seulement sur la performance financière pour mesurer la bonne santé des entreprises. C’est ce que l’on appelle la comptabilité en triple-capital : financière, environnementale et sociale. 

Channelnews : Pensez-vous que l’innovation soit le meilleur moyen de réduire l’empreinte du numérique ?

Jean-Paul Chapron : Oui et non. Oui car l’innovation permet a priori de faire plus avec moins, c’est-à-dire plus de fonctionnalités avec moins d’énergie. Mais des technologies comme la blockchain ou l’Intelligence Artificielle, en simplifiant les usages, restent très consommatrices d’énergie. Je ne suis pas rassuré par certaines de leurs utilisations. On parle aussi de low-code et de no-code pour permettre à des non-experts de développer des applications mais le code généré est une catastrophe en termes de consommation. Les algorithmes de génération de code automatique sont dévoreurs d’énergie. Il faudrait alléger cette technologie.

Nicolas Georgeault : En fait, il faut se poser cette question de sobriété dès la conception d’un service ou d’un produit. Pour stimuler cette approche en interne, nous avons notamment organisé un hackathon en juin dernier. Le thème proposé était l’écoconception dans le domaine de la prévention dans l’assurance. Le jury, composé de clients, a attribué la meilleure note à la solution qui offrait le meilleur équilibre entre la partie économique, la prise en compte de la dimension environnementale et la richesse fonctionnelle.

Channelnews : Finalement, qui vous incite le plus à suivre la voie du numérique responsable : vos clients, vos salarié.e.s ou l’Etat ?

Jean-Paul Chapron : Moi j’écoute ce que disent les scientifiques et j’ai parfaitement compris qu’il nous fallait absolument réduire notre impact environnemental et celui de nos clients. Maintenant, pour atteindre l’économie régénérative, il faudra le soutien de l’Etat afin de faire évoluer les modèles d’affaire. Aujourd’hui, nos clients nous demandent le poids carbone d’un service numérique dans les appels d’offre. L’Etat annonce un indice de durabilité à venir en 2024. Les enseignants et étudiants commencent à se former à l’écoconception et à la sobriété. De nombreuses initiatives concomitantes se mettent en place.

Nicolas Georgeault : Demain, on ne parlera plus de numérique « responsable » parce que le numérique sera devenu par essence – et par nécessité – responsable. Avec nos clients, nous travaillons toujours davantage dans un esprit de co-construction où nous interrogeons, à chaque étape, la nécessité d’une fonctionnalité. Nous échangeons sur les enjeux et les objectifs, ce qui renforce le côté partenaire de la relation.