En tant que directeur de l’innovation de SQLI puis responsable de la prospective d’Octo Technology, Guillaume Plouin a développé au cours des dernières années, une forte expertise sur les technologies émergentes et notamment sur les architectures Cloud. Depuis quelques mois, il a rejoint en tant qu’associé Deveko, une société spécialisée dans l’efficacité énergétique des logements pour construire une plateforme cloud à l’usage des professionnels du bâtiment.

Auteur, conférencier, il a signé récemment dans Silicon, une série de tribunes dans lesquelles il prend position sur plusieurs thématiques relative au Cloud : l’impact des conteneurs sur l’industrie du Cloud, le Cloud privé, le rapport des PME au Cloud, le Cloud souverain … Interview.

Channelnews : vous expliquez dans une de vos tribunes que la montée en puissance de Docker est l’opportunité pour Google de rattraper son retard sur Amazon. De quelle manière ?

Guillaume Plouin : En effet, d’après ce qu’on lit et on dit, Amazon a une culture très « machine virtuelle » du Cloud. Ce qui l’a conduit à privilégier de tout temps un positionnement IaaS. À l’inverse, Google a une approche très « plateforme as a service », qui permet de déposer du code en ligne sans avoir à se soucier de l’infrastructure. Le fait est que les PaaS n’ont pas décollé jusqu’à présent. Pourquoi ? Ce sont souvent des boîtes noires utilisant des technologies propriétaires et dont personne ne savait exactement comment elles fonctionnaient. Les développeurs s’en sont longtemps méfiés car il fallait utiliser des librairies très spécifiques et ils avaient l’impression de s’enfermer. Docker est en train de changer la donne car sa technologie de conteneurs est ouverte et interopérable. Elle est utilisable indifféremment en local ou sur le Cloud public. En investissant fortement dessus, notamment via son outil de gestion de conteneur Kubernetes, Google rassure tout le monde et se donne les moyens de prendre l’ascendant sur Amazon en matière d’hébergement d’applications spécifiques.

Vous ne croyez pas du tout au Cloud privé, parlant même d’escroquerie à son propos. Vous ne pensez pas donc pas que le Cloud privé a trouvé son marché ?

Guillaume Plouin : Le Cloud privé s’apparente à mon sens à du Cloud washing. Les DSI se sont saisis du terme pour vendre à leur direction leur implication dans le Cloud. Mais en réalité, il ne s’est pas passé grand-chose pendant des années. Les entreprises ont bien mis en place des infrastructures virtualisées en interne mais pas de Cloud au sens self service et paiement à la consommation du terme. Elles se sont arrêtées au milieu du gué. Aller plus loin aurait supposé des changements organisationnels. En clair : laisser les clés du camion aux utilisateurs. Résultat : cela a généré de la frustration en interne et les métiers sont allés faire leurs courses ailleurs. Ils se sont tournés vers le Cloud public.

Vous constatez, comme beaucoup, que les PME restent majoritairement à l’écart du Cloud. Mais pour vous, ce n’est pas un problème de coût ou d’usage mais un défaut d’information. Les PME ne seraient tout simplement pas informées de son existence.

Guillaume Plouin : Oui. Je suis convaincu que le Cloud, notamment les solutions collaboratives, sont moins onéreuses et plus sûres pour les PME. Je l’expérimente à titre personnel via la startup que je contribue à développer actuellement. Celle-ci est encore dépourvue de locaux et, à ce titre, je vis intégralement dans le Cloud. J’utilise des outils tels que Google apps (messagerie, bureautique), Trello (gestion de projets), Mock-up (storyboards)… Mais la plupart des PME avec lesquelles j’échange n’ont jamais entendu parler de ces solutions. À leur décharge, je pense qu’il est difficile de prendre du recul quand on s’occupe d’une PME et, qu’à l’inverse des grandes entreprises, elles ne peuvent pas s’appuyer sur des cellules de veille ou des sociétés de conseil pour les orienter. Le fait que le Cloud ne soit encore que très peu en français joue également beaucoup en sa défaveur. Mais je pense que les PME auraient beaucoup à gagner à migrer dans le Cloud même si cela représente des coûts et du changement.

Vous n’êtes pas tendre avec le Cloud souverain. Dans votre tribune publiée en mars, vous parliez de stratégie défaillante et d’absence de vision innovante. Pourquoi le Clous souverain n’a pas marché, selon vous ?

Guillaume Plouin : Deux grandes erreurs ont été commises à mon avis. La première : l’Etat s’est adossé à des acteurs certes très puissants mais peu pertinents. Des acteurs comme Gandi ou OVH sont certes moins doués pour le lobbying qu’Orange ou SFR mais ils sont certainement plus technophiles et plus aptes à créer des offres innovantes. SFR s’est contenté de repeindre ses datacenters existants sous VMware aux couleurs Numergy. Orange a été certes plus innovant en se lançant dans la conception d’une architecture OpenStack mais a essuyé les plâtres.

La seconde erreur a été de sortir des produits peu lisibles. Les clouds souverains se sont positionnés d’emblée comme des Amazon sans tenir compte du fait qu’ils arrivaient avec dix ans de retard sur le marché. Ils ont voulu se façonner une image de fournisseurs d’énergie informatique à dimension européenne, suggérant des effets d’échelle, une informatique de masse et très banalisée. Mais cette ambition était décalée par rapport à leur capacité de réalisation. Peut-être aurait-il mieux fallu viser des marchés plus ciblés comme l’administration ou la santé et proposer des produits adaptés.