Après une succession de très bons trimestres, l’heure pourrait être aux réjouissances entre Dell et ses partenaires. Et pourtant selon les témoignages de partenaires de premier plan recueillis par nos confrères de CRN aux États-Unis, un lourd conflit s’est développé entre les canaux ces derniers mois. Les partenaires de distribution reprochent à la force de vente directe de Dell, qui compte 27 000 représentants, de leur faire une concurrence agressive et déloyale. Les premières critiques se sont fait entendre à partir de l’été sur l’activité PC avant de s’étendre à d’autres à plus forte valeur ajoutée comme les serveurs, le stockage, les infrastructures hyperconvergées et les services.

Un partenaire de longue date de Dell, de niveau Titanium, explique qu’un de ses clients, à qui il vendait depuis des années des solutions d’infrastructure et de stockage Dell, a été chassé directement par Dell au moment d’une importante commande de serveurs et de licences VMware. Il estime le préjudice à plusieurs millions de dollars de chiffres d’affaires.

Un autre qui avait apporté à Dell un client auquel il assurait tous les services de déploiement a eu la mauvaise surprise de voir le fournisseur lui proposer directement une solution incluant ces services. Les tentatives pour voler les nouvelles opportunités client vont en se multipliant selon les partenaires.

« Dell direct est notre plus grand concurrent », a déclaré le président d’un partenaire Titanium. « Notre plus gros problème à tous les niveaux est la mentalité directe de Dell, car il n’y a tout simplement pas de freins et contrepoids. […] C’est comme le Far West », dénonce t-il.

Selon les règles qui régissent le channel, les représentants de Dell ne peuvent pas faire d’offre directe aux clients de partenaires si ces derniers n’en font pas expressément la demande. « Ce qu’ils font dans ces situations, c’est dire au client de demander un devis direct. Nous croyons qu’ils chuchotent à l’oreille de nos clients », dénonce le PDG d’un partenaire. C’est si facile pour Dell de dire « Je peux vous le vendre moins cher si vous l’achetez directement », renchérit le PDG d’un autre partenaire Platinum.

Face à ces agissements, une partie des partenaires considèrent que le point de rupture a été atteint. Certains refusent désormais de partager de nouvelles informations sur les contrats ou les comptes avec les représentants directs de Dell. D’autres qui s’estiment lésés prennent des mesures de représailles.

Un partenaire déclare ainsi : « Le message que nous avons transmis aux commerciaux est le suivant : si vous avez un client qui achète Dell, nous devons évidemment continuer à prendre en charge la plate-forme Dell. Mais chaque fois que nous aurons l’occasion de désintermédier Dell, nous le ferons. Si nous faisons une recommandation au client, Dell sera le dernier que nous recommanderons. »

Plusieurs partenaires ont déclaré à CRN qu’ils cherchent davantage maintenant à investir dans les rivaux de Dell tels que Lenovo, HPE, HP, Nutanix, Pure Storage, NetApp et Cisco. « Nous venons de signer avec Lenovo au cours du dernier mois », a déclaré le président d’un grand partenaire qui considère que sa fidélité à Dell, faute de contreparties, n’est plus de mise.

Face à cette vague de contestation, Bill Scannell (photo), le président des ventes mondiales et des opérations clients chez Dell Technology a défendu sa vision dans une interview à CRN. Il a nié tout changement dans la stratégie partenaires de Dell et l’existence d’un conflit généralisé entre les canaux.

« Notre stratégie est de croître plus rapidement que le marché et par toutes les voies d’accès au marché, que ce soit directement avec nos clients, ou par l’intermédiaire de nos partenaires, ou par l’intermédiaire de nos partenaires d’alliance. C’est pour l’ensemble du portefeuille. Nous sommes donc ouverts aux affaires. Et ça marche vraiment, vraiment bien », a-t-il expliqué.

Il a rappelé qu’au cours des trois premiers trimestres de l’exercice 2022 les ventes globales de Dell ont augmenté de 12%, 15% et 21% quand celles du channel progressaient respectivement de 14%, 29% et 34%. Et que sur les 100 milliards de dollars de chiffres d’affaires de Dell, plus de la moitié passe par le réseau de partenaires de distribution. Un dernier argument peu convaincant pour les partenaires alors que les ventes indirectes dépassent 75% chez Lenovo et 90% chez HP ou Pure Storage.

Sur les plaintes des partenaires concernant l’enregistrement des transactions et les représentants des ventes directes qui sous-cotent les partenaires sur le prix, le responsable a déclaré que ces cas constituaient l’exception à la règle et que le processus d’enregistrement des transactions Dell fonctionnait. Et là encore de rappeler que 130 000 transactions ont été enregistrées au troisième trimestre, en hausse de 9% d’une année sur l’autre. Il a reconnu que des abus pouvaient parfois être constatés mais qu’ils faisaient l’objet de sanctions internes.

De manière plus abrupte, il a lancé ce message aux partenaires de distribution : « Allez prendre des parts à nos concurrents et nous les accepterons toujours. Mais si nous sommes dans le compte, nous n’avons pas besoin d’aide. »

Peut-être en signe de conciliation, il a évoqué les offres d’abonnement à l’usage Apex. « Très rapidement, nous allons nous assurer que nous pouvons traiter les offres Apex par l’intermédiaire de nos partenaires de distribution », a-t-il promis.

Mais pour les partenaires interrogés par CRN, Dell se trouve maintenant à l’heure du choix et doit apporter un vrai changement sur son prochain exercice s’il ne veut pas les voir prendre le large et perdre du terrain face à la concurrence.