Stéfane Fermigier, dirigeant-fondateur de Nuxeo, et vice-président du Conseil national du logiciel libre, fait le point sur la situation du logiciel libre en France et sur les retombées potentielles de la circulaire Ayrault.


Channelnews : Quelles retombées concrètes attendez-vous de circulaire Ayrault publiée le 19 septembre ? On a l’impression qu’il s’agit plus d’une profession de foi en faveur du logiciel libre que d’une directive à même de favoriser sa diffusion. Les habitudes ont la vie dure.

Stéfane Fermigier : Il faut y voir à mon sens plus que des déclarations d’intention. Cette circulaire, qui a été envoyée à tous les responsables informatiques des ministères, reconnaît que le logiciel libre est facteur de liberté mais aussi d’économies en offrant possibilité de sortir plus facilement d’une relation contractuelle non satisfaisante. Elle peut remettre le gouvernail dans la bonne direction dans un secteur public qui a permis au libre de percer au début des années 2000 mais qui a eu tendance à ralentir par la suite. Elle va probablement influencer les choix d’investissements des collectivités et des administrations. Mais on espère surtout qu’elle est le préliminaire d’une véritable politique industrielle susceptible de redynamiser l’ensemble du secteur IT. Il faut rappeler que l’open source est pourvoyeur d’emplois et de croissance : le secteur pesait 30.000 emplois en 2011 selon Pierre Audoin Consultants, et il enregistre une croissance de 30% par an.

Quel est le sens de la tribune que vous avez co-signée dans le Monde daté du 19 octobre intitulée : « il faut enseigner le logiciel libre en France » ? D’aucuns vous diront qu’il l’est déjà.

Stéfane Fermigier : En fait, il y a de grandes disparités selon les écoles et les enseignants. Mais les formations d’ingénieurs fortement axées sur le logiciel libre sont peu nombreuses. J’en compte moins d’une dizaine en France. Au-delà de l’enseignement des technologies du logiciel libre, il est important de préparer les étudiants aux techniques de développement coopératif en les faisant participer à des communautés et en les confrontant à la complexité inhérente à ce modèle (barrière des langues, des cultures, gestion de projets…). Une approche qui est très différente de celle du logiciel propriétaire et qu’il nous paraît importante de diffuser. Quant à ceux qui prétendent qu’il n’y a pas de débouchés dans le libre, ils se trompent : on a du mal à recruter.

Pensez-vous que le cloud soit un allié objectif du logiciel libre et qu’il puisse accélérer son développement ?

Stéfane Fermigier : C’est difficile de répondre de manière tranchée. D’un côté, on peut observer que les géants de l’Internet, tels Google, Amazon, Twitter, ont beaucoup contribué au logiciel libre. La grande majorité des projets libres relatifs à la capacité à monter en charge sont issus de ces géants. On voit bien à travers leur contribution que le libre est facteur de création de valeur et d’innovation.

D’un autre côté, le cloud est encore trop souvent associé à des problèmes de captation des données personnelles, de migration, de réversibilité… Tout n’est pas transparent dans le cloud. Les tenants du libre sont réticents vis-à-vis du cloud pour ces raisons là car ils sont plus sensibilisés aux problèmes qu’il pose.

Pensez-vous que les logiciels libres sont en train de s’imposer dans la course à l’innovation face aux logiciels propriétaires ?

Stéfane Fermigier : Là aussi cela dépend des domaines. C’est vrai dans le domaine du big data autour des bases de données noSQL ou du traitement à grande échelle avec le projet Hadoop, projet auquel, soit dit en passant, se sont ralliés la plupart des éditeurs propriétaires. On voit aussi le libre progresser dans les applicatifs, notamment le collaboratif, la Geide et même les ERP. Et je rappellerais simplement que 95% des machines virtuelles hébergées dans le cloud Amazon tournent sous Linux. Mais il ne fait pas occulter les menaces qui pèsent sur le libre : notamment les brevets logiciels. Beaucoup d’éditeurs libres sont terrorisés par les « patent trolls » qui les obligent à signer des transactions pour ne pas être inquiétés. Autre phénomène qui bride l’essor du libre : le détournement par les éditeurs de logiciels propriétaires des standards ouverts de façon à empêcher les éditeurs libres de développer des implémentations concurrentes.