Le 25 janvier 2021, LDLC instaurait la semaine de quatre jours pour (la quasi-totalité de) ses quelque 1.000 salariés. En pratique, cela signifiait le passage aux 32h00 hebdomadaires pour tous sans baisse de salaire. Un an plus tard, alors qu’il en perçoit les effets réels, Laurent de la Clergerie, son président-fondateur, prend la plume pour partager ses impressions et décrire à quel point cette initiative a changé l’entreprise : « une histoire qui dépasse [l’]imagination, contre intuitive, presque un conte de fées », écrit-il dans une tribune intitulée « De l’autre côté du miroir » parue le 14 décembre dernier sur son profil Linkedin, et que nous reprenons ici dans une version raccourcie

« Le 25 janvier 2021, c’était le jour des 25 ans du groupe. Certains diront que c’était un beau cadeau d’anniversaire, quand aujourd’hui je vous dirai qu’on a mis trop de temps à se l’offrir… Mais nous ne le savions pas…

Depuis la validation du principe à la NAO 2020, les équipes ont bossé pour définir l’accord d’entreprise et surtout sur la nouvelle organisation des plannings pour qu’une fois la semaine de quatre jours mise en place, les clients de chaque service, qu’ils soient internes ou externes au groupe, ne voient pas la différence. Que le service rendu reste le même et que [l’entreprise continue à tourner normalement] les cinq ou six jours semaine où elle est ouverte (selon les services).

Point qui était capital pour moi : faire confiance à chaque équipe pour son organisation interne. Une fois les règles définies, pas d’ingérences sur leur gestion propre afin de responsabiliser chacun sur le projet. Au final, presqu’aucune équipe n’a défini strictement les mêmes règles, mais ça marche partout…

Que s’est-il passé après 25 janvier ? Rien… Enfin, si. On a pris l’habitude de recevoir quelques mails en semaine qui disaient « je suis off aujourd’hui ». Des mails qui ont largement diminué avec le temps. On a aussi appris que beaucoup de choses n’étaient pas à 24h00 près – tant que ça ne touche pas à notre qualité de service.

Bien sûr, il arrive qu’on doive décaler le jour off d’une personne ou d’un groupe de personne pour s’adapter aux autres, faire un séminaire… Mais de façon exceptionnelle. Au final, notre qualité de service n’a pas changé, nos clients n’ont pas vu la différence. Quoique si. En vrai, ils entendent beaucoup plus de sourires au téléphone !

Les résultats sont là. Il y a quelques jours nous avons communiqué les chiffres de notre premier semestre 100% travaillé en rythme quatre jours hebdomadaires. Bilan : 6% de croissance, 20% de gain de résultat et un solde négatif entre embauches et départs.

Nous n’avons donc enregistré aucune perte d’efficacité… Mieux, nous avons réévalué les salaires aux NAO de 2021. En moyenne de 10% pour les bas salaires (pour atteindre un salaire minimal de 1940 euros brut) et de plus de 3,5% pour l’ensemble des autres personnels. Ainsi, malgré ce cadre « hyper social » nous sommes l’une des sociétés les plus rentables de notre secteur.

Mais au-delà des résultats de l’entreprise, il y a le bien-être des équipes. Chaque année, je prends le temps de rencontrer les équipes par groupe de 10 à 30 personnes pendant une heure en mode questions-réponses. La dernière fois, c’était en octobre. Bien sûr, nous avons largement parlé du passage aux quatre jours et je ne pourrai pas vous exprimer à quel point cela faisait du bien de constater que cette mesure avait changé leur vie. Il y avait ce sentiment de progresser ensemble, de faire un énorme pas en avant, pour le bien-être de tous et pas seulement pour l’entreprise.

Beaucoup de journalistes sont d’ailleurs venus nous voir, pour ressentir cette ambiance, pour interroger les équipes « au hasard ». Cela paraissait trop beau, truqué. Ils ont cherché l’erreur et ne l’ont pas trouvée. Pourtant, cela n’a pas toujours été comme ça dans le groupe, ni côté ambiance, ni côté rentabilité. Nous sommes dans un secteur à faible marge où la moindre perte d’efficacité fait vite très mal aux comptes…

Tout a commencé à basculer du jour où nous avons décidé de faire de nos équipes et de leur bien-être la priorité. Le passage à quatre jours ayant clairement été l’avancée la plus importante dans ce sens. Pour être honnête, le jour où nous avons mis cette mesure, je pensais qu’il y aurait quand même un coût à assumer, correspondant au passage des 35h00 aux 32h00 travaillées. Je l’avais estimé à peu près 4% de la masse salariale. Mais j’avais fait le pari que des équipes qui se sentent bien, cela se ressent et cela fidélise les clients. Nous devions donc nous y retrouver quelque part, au moins en termes de croissance.

J’avais fait une erreur !

Comme de nombreux économistes nous expliquent tous les jours que pour produire/gagner plus, il faut travailler plus, je n’avais pas intégré un paramètre essentiel mais jamais pris en compte : l’usure ou la fatigue. Un paramètre qui m’a fait totalement revoir cette notion de travailler plus depuis que j’en ai vu les limites

C’est à mon avis une illusion de croire qu’on travaille beaucoup moins « qu’avant ». Oui, on travaille moins d’heures en entreprise, mais on doit encore caser beaucoup de tâches (ménage, courses, repas, démarches administratives, gestion et éducation des enfants…) hors des horaires de travail et des déplacements liés au travail. Si l’on fait le cumul de toutes ces tâches, il reste peu de temps pour la vie sociale et les vrais moments à soi.

Les congés payés permettent en théorie de récupérer de temps en temps. Mais cela ne suffit pas. C’est un peu comme le sport… Si vous faites une pause régulière entre chaque exercice, vous pouvez aller loin. Mais si vous faites trop peu de pauses ou trop espacées vous êtes vite fatigués.

Ce phénomène purement physique n’est pas modélisé dans les systèmes économiques. C’est en cela que la semaine de quatre jours vient rééquilibrer le système. Quatre jours travaillés, c’est trois jours de repos. C’est une journée complète de plus pour se reposer et faire tout ce qui n’est pas faisable quand on travaille et c’est une journée de pression liée au travail en moins… Toutes les semaines !

Est-ce que c’est l’équilibre ultime ? Je n’en sais rien. Mais cela explique qu’au final, contrairement à ce que l’on entend constamment, on peut travailler moins longtemps… et être bien plus productif. Simplement parce qu’on est moins fatigué mentalement. En reprenant le temps de vivre, d’équilibrer notre vie, on a retrouvé le plaisir d’en profiter.

Bien sûr j’entends déjà ceux qui disent, que ce n’est que notre expérience personnelle, que ce que vit le Groupe LDLC n’est pas généralisable. C’est un peu pour cela que j’ai parfois le sentiment que l’on est passé de l’autre côté du miroir. Nous avons franchi un seuil qui nous fait voir une réalité différente, un peu comme cela a été le cas pour les premiers qui ont tentés le télétravail.

J’ai conscience qu’il faudra plus d’exemples pour confirmer que le modèle est bon. Cette tribune est surtout là pour vous demander à vous les responsable RH, les chefs d’entreprise, les administrateurs, les membres de comités de direction, vous qui avez le pouvoir de faire avancer les choses, de réfléchir au sujet, et de sortir de votre zone de confort, car cela en vaut très probablement le coup.

Offrir à un maximum de monde ce confort de vie, ce gain de bien-être, permettrait sans doute de corriger le mal du siècle, « le stress au travail », tout en générant de la croissance. Oui, c’est ça le côté magique de la chose : la semaine de quatre jours, c’est la promesse de plus d’efficacité économique. Moins de charge mentale, moins de stress, c’est aussi moins d’absentéisme, moins de maladies, moins d’accidents, moins de tensions… Et plus d’emploi dans les loisirs et le tourisme ».