Depuis quelques mois (CIR), les notifications de redressement se sont multipliées à l’encontre des bénéficiaires du Crédit impôt recherche comme le confirme notamment le Syntec.

Après la procédure collective de YouSaaS, les témoignages affluent qui attestent d’une recrudescence des notifications de redressement affectant les bénéficiaires du Crédit Impôt Recherche (CIR). Dernière intervention en date, celle de Guy Mamou-Mani, le président de Syntec Numérique, qui nous a confirmé aujourd’hui avoir plusieurs dizaines, voire centaines, de membres directement concernés. « Nous avons constaté une accélération massive des contrôles depuis six-neuf mois », explique-t-il évoquant un triplement ou un quadruplement des cas.

Autre autorité à confirmer l’ampleur du phénomène : Alexandre Stern, directeur sénior du groupe Management de l’innovation de Lowendalmasaï, l’un des cabinets de référence spécialisés dans l’accompagnement des entreprises innovantes. Un phénomène qu’il n’est pas encore en mesure de quantifier précisément mais qui serait attesté par les autres membres de l’Association des Conseils en Innovation, l’organisation professionnelle des sociétés conseil en stratégie de l’innovation, à laquelle Lowendalmasaï appartient.

Reprendre d’une main ce qui a été donné de l’autre

Au demeurant, cette accélération est en contradiction flagrante avec la volonté de l’exécutif, notamment du Président de la République, qui assurait encore à propos du CIR, lors des Assises de l’Entreprenariat fin avril, qu’il n’était « pas question de reprendre d’une main ce qui a été donné de l’autre », comme le rappelle Guy Mamou-Mani. Les montants en jeu ne sont pas anodins. L’édition 2012 de l’étude réalisée annuellement par Lowendalmasaï auprès de ses clients montre que la moitié des entreprises bénéficiaires du CIR ont été contrôlées au cours des cinq dernières années. Ce qui représente environ 10% des entreprises par an. Sur cette proportion, 30% ont reçu une notification de rectification, dont près de 50% pour plus de la moitié des sommes déclarées. Or le montant moyen du CIR est proche de 400.000 €.

L’impact de ces redressements est donc énorme pour les entreprises concernées, qui sont à 33% des TPE (moins de 20 salariés) et à 52% des PME (de 20 à 249 salariés). Un enjeu qui n’a pas échappé à Guy Mamou-Mani, pour qui la situation est critique. « De nombreuses entreprises sont en danger et il faut agir très vite pour les sauver ». Au-delà de cette urgence, il craint que le zèle du fisc ne finisse par décourager les entreprises d’utiliser le CIR. Un dispositif qu’il juge pourtant crucial pour le pays. Avec le statut de JEI, « il a fortement contribué au développement de l’industrie du numérique et à la création ou au maintien de milliers d’emploi, rappelle-t-il. C’est un facteur important de l’attractivité économique de la France pour les entreprises internationales, qui sont nombreuses à implanter des laboratoires de R&D sur le territoire ».

Des règles du jeu opaques

Alerté dès le début de l’année par ses adhérents, le Syntec numérique a constitué une commission fiscale qui travaille depuis plusieurs mois sur le sujet. Elle a notamment rédigé un document à l’usage des pouvoirs publics rassemblant de nombreux témoignages d’entreprises épinglées mais manifestement de bonne foi. Ce document préconise des solutions. « Il faut notamment que les règles du jeu soient plus claires », estime Guy Mamou-Mani, qui s’interroge notamment sur la légitimité d’un inspecteur à qualifier le niveau de recherche d’un projet et sur l’absence fréquente de représentant du ministère de la Recherche lors des contrôles.

Un point particulièrement sensible, les différents témoignages que nous avons reçus insistant sur le caractère apparemment systématique du redressement, quel que soit le sérieux du dossier et la bonne foi de l’entreprise, et sur l’absence de motivations explicites pour le justifier. Freddy Baudinet, dirigeant de YouSaaS, qui s’est vu confirmer un redressement de 440.000 € après plus de 18 mois de procédure indique n’avoir reçu pour toute justification que la phrase suivante : « la description du projet est purement qualitative et ne semble pas présenter d’innovation particulière, même s’il s’agit de travaux de grande ampleur nécessitant une réelle maîtrise technique ».

Soupçon d’arbitraire

Même arbitraire apparent pour cet autre témoignage posté sur notre site par la société Octave.Biz : « Durant la procédure, l’inspecteur nous a répondu « qu’il n’était pas tenu de suivre l’avis du ministère de la recherche, même si celui-ci concluait à l’éligibilité à 100% de nos travaux de recherche au dispositif CIR« . Dans notre cas, c’est le jeune administrateur réseau des services fiscaux qui a donné son avis à l’inspecteur suite à une confrontation organisée dans leurs locaux… Cet avis a servi pour bâtir la conviction de l’inspecteur contre l’avis de nos chercheurs et à l’encontre du rapport d’expert du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche que j’avais pris la précaution de missionner deux ans avant le contrôle fiscal pour évaluer nos travaux ».

D’où l’évolution suggérée cette fois par Alexandre Stern qui préconise de mettre en place un contrôle « à priori » qui serait confié aux entreprises de conseil en financement innovation via la mise au point d’un agrément. « Nous aurions un rôle de régulation, sur le principe de celui qu’exercent les commissaires aux comptes », explique-t-il. Un mécanisme basé sur l’autocontrôle qui permettrait selon lui de limiter les dérives relatives aux projets à la limite de l’éligibilité.

Une volonté d’avancer

Guy Mamou-Mani se dit en tout cas confiant sur la suite des événements, ayant détecté une « excellente écoute » de la part des pouvoirs publics, y compris du ministère des Finances, sur ce dossier. « Ce qui pose problème, ce n’est pas la volonté politique, c’est l’exécution des directives par les agents de l’Etat », note-t-il. Un point sur lequel Alexandre Stern est plus dubitatif : « s’il y avait eu des instructions claires et fermes, elles auraient été appliquées ».