Consultant indépendant spécialisé dans le conseil stratégique pour le compte des SSII, Claude Gourlaouen explique pourquoi les fusions-acquisitions s’avèrent souvent beaucoup moins intéressantes qu’escompté.


Selon le BCG, 60% des opérations de fusion-acquisition détruisent de la valeur. Mon expérience personnelle corrobore ces chiffres fournis par le BCG. J’ai participé à dix-sept acquisitions-fusions dans le secteur des SSII, le plus souvent côté acquéreur mais parfois côté cible, la plupart du temps en 1ère ligne. C’est donc en toute connaissance de cause que je pense que peu nombreuses sont les opérations qui se déroulent de manière satisfaisante et selon le plan initialement prévu. Ce constat est d’autant plus perturbant qu’on s’aperçoit, avec un peu de recul, que très souvent le même mauvais scénario se déroule inexorablement.

Phase 1 : À la recherche d’un avantage et d’une solution


A l’origine de toute acquisition, il y a la volonté d’un dirigeant, convaincu que le développement de son entreprise passe par la croissance externe. Au-delà de cette conviction stratégique, le dirigeant « prédateur » recherche un ou plusieurs avantages immédiats : part de marché, effet de taille, ressources pointues pour développer une expertise, nouvelle implantation en Province ou à l’étranger, nouveau métier…

A la tête de la société ciblée, on rencontre la plupart du temps un dirigeant-fondateur « gibier » confronté à de grandes difficultés généralement professionnelles mais parfois personnelles, et persuadé que la cession du capital de son entreprise lui permettra de résoudre son problème.

Phase 2 : Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil


L’affaire est signée, il ne reste qu’à exécuter le plan… La phase 2 intervient dès l’annonce du rachat, dans le prolongement de la période de séduction qui a précédé la signature : le dirigeant acquéreur communique auprès des différentes équipes en mettant en exergue tous les avantages générés par la fusion (synergies, nouvelles opportunités…),   et en omettant d’évoquer les sujets qui fâchent (organisation, doublons…). Ne voulant pas risquer de dévaloriser son investissement, il recherche une intégration non conflictuelle et propose une organisation souple qui tient souvent plus de la juxtaposition que de la fusion, ne nécessitant pas d’arbitrage épineux ou de décisions brutales. Cette période correspond en fait au calme avant la tempête… Très vite quelques grains de sable viennent gripper la machine.

Phase 3 : Le conflit


Des antagonismes émergent progressivement : dans l’hypothèse où il reste dans la nouvelle entreprise, l’ancien dirigeant souhaite la plupart du temps conserver le contrôle de son bébé malgré le fait qu’il ait vendu le droit de le faire. Dans l’incapacité de revenir à une position subalterne et ayant du mal à s’imprégner de la culture de l’acquéreur, il va rapidement, en s’opposant à tout changement, entrer en conflit avec le management du repreneur. Abandonné par ses anciennes équipes dont les intérêts s’écartent des siens, il se retrouve vite isolé et devient la première victime du processus d’intégration.

Passé le premier moment de stupeur à l’annonce du rachat, la grande majorité du management « acquis » se met en mode survie, ce qui se traduit par une allégeance affichée aux valeurs de l’acquéreur tout en se mettant en situation de conserver les positions managériales acquises précédemment. De ce fait, le management de la société rachetée va se retrouver très vite en compétition avec celui du repreneur. Généralement très offensif, le management acquéreur estime légitime de contrôler le nouvel ensemble, d’imposer son modèle économique et sa culture à la partie acquise.

Bien entendu, les deux équipes ne jouent pas à armes égales : imprégnés de la culture et des codes du vainqueur, en relation permanente avec le patron-dirigeant, généralement plus nombreux, les managers de l’acquéreur disposent d’avantages compétitifs par rapport à leurs homologues de la société rachetée. Ces derniers, peu au fait des us et coutumes de leur nouvelle entreprise et ne bénéficiant pas de relais auprès du PDG, disposent toutefois de deux armes : d’une part la dissuasion sociale du fait de leur position d’interface avec les salariés de la société acquise, d’autre part la relation forte qu’ils peuvent entretenir avec leurs clients dans des secteurs où le repreneur n’est pas présent.

En réalité, ces armes s’avèrent généralement être des pétards mouillés. De fait, en règle générale, les collaborateurs « productifs » et les personnels d’exécution sont favorables au nouvel ensemble : les salariés rachetés sont rassurés de rejoindre une structure plus importante qui leur garantit une plus grande sécurité et des opportunités plus nombreuses tandis que les salariés de l’acquéreur se voient confortés dans l’idée qu’ils sont dans une société leader et conquérante. Quant aux clients, ils intègrent très vite l’avantage qu’ils ont à s’appuyer sur un fournisseur plus solide à qui ils proposent d’ailleurs d’appliquer les tarifs de l’entité pratiquant les prix les moins élevés.

Le conflit entre les deux chaînes de management s’exacerbe, les deux camps revendiquant les mêmes secteurs commerciaux, les mêmes périmètres de prestations, les mêmes projets… Les incidents de frontière sont d’autant plus nombreux que la nouvelle organisation est floue. Les demandes d’arbitrage auprès de la direction générale se multiplient. Loin de favoriser les synergies et de générer un accroissement de richesse, cette situation conflictuelle entraîne une baisse de la productivité : à tous les niveaux, les managers sont davantage concentrés sur le maintien de leurs positions et le développement de leur influence qu’à vendre le nouvel ensemble.

Phase 4 : le dénouement


Après quelques mois, sous l’influence de son entourage, qui lui fait valoir que le coût de cette situation conflictuelle est supérieur au coût de nuisance supposé des managers repris, le dirigeant tranche et impose, généralement à l’occasion d’un nouvel exercice, une organisation qui fait la part belle aux managers « canal historique ». De nombreux managers issus de la société rachetée quittent alors l’entreprise après négociation.

Au final, le bilan de la cette fusion-intégration est peu glorieux : pour n’avoir pas, dès le départ, imposé l’organisation qui lui aurait permis de gérer et d’exploiter immédiatement les avantages qu’il a acquis, l’acquéreur a perdu une partie de la valeur qu’il s’était créée à l’occasion de cette acquisition : l’activité commerciale a faibli (pas celle de la concurrence), des affaires ont été perdues, des dirigeants de valeur ont quitté l’entreprise, le turn-over a augmenté.

L’intégration : une activité à haut risque


Même si dans quelques cas la mariée est trop belle, la plupart des SSII rachetées correspondent peu ou prou à l’image que l’acheteur s’en faisait avant signature. L’acquisition en soi n’est pas risquée, en revanche l’intégration des sociétés rachetées est une activité à haut risque qui, si elle est mal conduite, peut mettre en péril l’ensemble de l’édifice.

Prochaine chronique : Comment limiter son risque d’intégration et faire en sorte que 1+1 fassent plus que 2 ?

Claude Gourlaouen : Depuis plus de trente ans dans le secteur des services informatiques, Claude Gourlaouen a occupé durant les vingt dernières années des postes de management dans différentes SSII. Il est notamment passé par Syseca, par Teamlog et par Groupe Open, où il a occupé le poste de directeur région Ile-de-France jusqu’en 2011. Il a aussi créé et dirigé une société de services et un cabinet de conseil. Depuis dix-huit mois il conseille des dirigeants de SSII dans leur stratégie de développement et réalise de l’analyse d’offre pour le compte de donneurs d’ordres.

Cette tribune est parue initialement sur son blog Connect-IT.