Les clients qui ont mis leurs données dans les Cloud public américain ont de grandes difficultés à récupérer leurs données, prévient Franck Dubray, Pdg de l’hébergeur-infogéreur Intrinsec*, filiale du groupe Neurones.


Channelnews : Quelles conséquences les révélations d’Edouard Snowden relatives au programme de surveillance américain Prism sont susceptibles d’avoir sur l’industrie du Cloud en général ?

Franck Dubray : L’affaire Prism contribue à faire prendre conscience aux clients de l’utilité de se préoccuper d’où sont leur données. Il y a deux ans, on a vu des grands comptes faire des communiqués pour expliquer qu’ils avaient décidé de migrer toute leur messagerie chez Google au motif que c’était moins cher que de l’exploiter en local. Mais était-ce bien raisonnable ? D’abord, il y a le problème de la confidentialité des données. Beaucoup de données confidentielles passent par la messagerie : prix, contrats, propositions commerciales… Mais il y a aussi le problème de la restitution des données. Par exemple, ceux qui ont leur CRM chez l’un de ces éditeurs SaaS américains, se rendent compte qu’ils ont de grosses difficultés à récupérer leurs données et que le coût pour y parvenir est énorme. Ils ont le sentiment d’être en quelque sorte prisonniers. Cette prise de conscience devrait favoriser le retour vers des prestataires auditables, aux processus traçables, capables de leur restituer leurs données et de leur garantir qu’elles ont bien été effacées si nécessaire.

Allez-vous être affectés par les hausses de prix du programme de licence Microsoft réservés aux fournisseurs de services hébergés et qu’en pensez-vous ?

Franck Dubray : Microsoft étant maître de sa politique tarifaire, il réajuste régulièrement (tous les trois mois) ses prix. Intrinsec répercute ces variations de prix sur les contrats clients. Il faut faire avec. Sur le fond, Microsoft est le seul acteur à se comporter de cette manière. Chez les autres, les prix d’un même produit évoluent plutôt à la baisse dans le temps. Il faut reconnaître qu’en parallèle Microsoft a baissé certains prix. Mais il est très difficile de savoir au final quel sera l’impact global sur les coûts. La vraie question est de savoir si c’est une bonne chose pour l’image de Microsoft. D’autant que, comme pour les impôts, plus on taxe, plus on génère de comportements de contournement. Chez Intrinsec, on ne peut pas se passer de Windows mais il nous est apparu qu’il était beaucoup moins nécessaire qu’autrefois de recourir à Microsoft pour un outil de messagerie, une base de données ou un outil de développement. Peut-être qu’un jour le marché se passera totalement de Microsoft.

Ne pensez-vous pas que l’essor du Cloud favorise l’open source au détriment des grands éditeurs propriétaires, qui commencent à montrer des signes de faiblesse ?

Franck Dubray : Je n’ai pas l’impression que les grands éditeurs aillent si mal. Ils ont tellement de moyens et de matière grise ! Je constate que la plupart des éditeurs open source se transforment en sociétés commerciales et que les versions purement gratuites de leurs technologies finissent par perdre en intérêt. Je ne crois pas que les éditeurs open source ait une chance de prendre l’ascendant sur les grands éditeurs propriétaires. Je pense plutôt qu’ils vont se faire racheter par ces derniers. Les éditeurs propriétaires vont l’être de moins en moins. Ils auront des composants ouverts et des surcouches propriétaires. C’est déjà la cas pour Amazon ou Google. Qui proposent des API ouvertes pour interagir avec leurs applications mais dont les composants essentiels (basses de données, stockage répartis…) ne sont pas accessibles.

Que pensez-vous de la création de ces sociétés de Cloud souverain subventionnées par l’Etat ?

Franck Dubray : Numergy et Cloudwatt ne sont pas subventionnées. Elles ont simplement pour actionnaire la Caisse des Dépôts. Cette situation ne me dérange pas. D’une manière générale, je pense que ces sociétés vont aider le marché à mûrir, qu’elles vont évangéliser les clients et qu’elles vont contribuer à faire grossir les autres acteurs du secteur. Du reste, ils n’ont pas vocation à nous concurrencer. Ils sont orientés infrastructures mais ce ne sont pas des infogérants comme nous le sommes. Pour finir, nous n’avons pas été confrontés à Numergy pour le moment et Cloudwatt n’a pas réellement démarré son activité.

À propos de concurrence, on a l’impression que tous les acteurs de l’écosystème IT, des fournisseurs aux revendeurs, deviennent fournisseurs de services Cloud. N’avez-vous pas l’impression que la concurrence s’intensifie ?

Franck Dubray : Je n’ai pas l’impression qu’il y ait plus de concurrence qu’avant. On voit effectivement toutes sortes d’acteurs, notamment quelques très grosses SSII. Mais les clients préfèrent la réactivité et la contractualisation des petits et moyens acteurs qui traitent réellement les problèmes des clients plutôt que de les esquiver. Du coup, on nous consulte pour des tailles de projets de plus en plus importantes qu’on hésitait à nous confier autrefois. On commence à gagner des projets en centaines de serveurs alors qu’il y a trois ou quatre ans, les projets de 25 à 30 serveurs étaient un maximum. Notre métier repose de manière importante sur la courbe d’expérience. Il ne s’apprend pas dans des cours ou des livres. Plus on gagne de clients, plus on progresse, plus on acquiert de maturité. Aujourd’hui, un hébergeur tel qu’OVH, souvent cité en exemple sur le Cloud, est encore presqu’exclusivement orienté hébergement Web. En ce qui nous concerne, ce n’est plus que 10% à 15% des serveurs que nous hébergeons. Cela dit, j’ai hâte de voir ce que va donner leur développement en Amérique du Nord. C’est une belle prouesse que d’avoir construit un datacenter au Canada et ça pourrait donner des idées aux autres.

Vous songez à vous développer à l’international ?

Franck Dubray : Je pense qu’avec le Cloud, on a un produit exportable qu’on n’avait pas dans le modèle de société de services traditionnel, attaché aux collaborateurs qui produisent et plus difficilement délocalisable. Les coûts humain dans le Cloud pèsent peu par rapport aux coûts matériels et logiciels. Un design d’architecture et une technique d’exploitation peuvent être facilement reproductibles ailleurs. Mon idée n’est pas d’aller vendre aux américains mais d’accompagner les multinationales françaises qui ne maîtrisent pas bien leur Cloud à l’étranger. Je suis allé voir quelques directeurs informatiques pour leur soumettre mon idée et l’accueil a été plutôt favorable, d’autant que le gouvernement encourage cette démarche en faisant des grands comptes des moteurs dans l’accompagnement des PME à l’international.

Comment se présente la fin d’année ?

Franck Dubray : Pas mal du tout. On a de beaux dossiers en cours. Toutes les équipes sont sur le pont. On a notamment signé à la fin du premier semestre un projet avec l’Institut de recherche pour le développement portant sur 250 serveurs. Intrinsec devrait finir 2013 sur une croissance de l’ordre de 20%, conforme au rythme de croissance que nous enregistrons chaque année. Nous constatons même un effet d’accélération sur nos offres IaaS et PaaS.

 

*Intrinsec fait partie des acteurs français de référence dans le domaine des services Cloud avec un effectif de 250 personnes et un chiffre d’affaires annuel qui atteint désormais les 30 M€.