IBM, Alcatel-Lucent, Oracle et surtout Orange. Le gotha de l’IT mondial s’est réveillé groggy vendredi dernier suite à la décision du gouvernement égyptien de filtrer drastiquement les communications depuis et vers le pays.

 

L’image de l’Egypte destination de choix de l’offshore est écornée pour longtemps. « En interne, la tension est palpable », déclarait Sébastien Crozier, président de la CFE-CGC & Unsa chez France Télécom-Orange, vendredi 28 janvier. La situation politique en Egypte est suivie de près par l’opérateur qui possède des intérêts majeurs dans le pays. Et pour cause : le pouvoir, tenu par Hosni Moubarak depuis 1981, a décidé la nuit de jeudi 27 au vendredi 28 janvier d’interrompre le trafic Internet public, probablement en mettant hors service les DNS. Selon nos constatations, les communications téléphoniques tant mobiles que fixes vers le pays sont également très difficiles.

Cette situation qui s’envenime alors que se durcissent les mesures prises par le pouvoir en place affecte l’opérateur historique à plusieurs titres. D’abord, il est actionnaire de référence de MobiNil, un des opérateurs mobiles locaux qu’il a bataillé pour conquérir (pour finalement trouver un accord avec l’autre actionnaire majeur, Orascom, au printemps dernier). Dans cet accord, France Télécom avait dû concéder d’intégrer le FAI LINKdoNET – auparavant propriété d’Orascom – au sein de ses activités sur place. L’opérateur est donc concerné à double titre par les mesures de filtrage prises par le pouvoir égyptien, qui a par exemple demandé le blocage des services des Blackberry.

Un des centres majeurs d’Orange Business Services


Si les intérêts sur place d’Orange ne manqueront pas de soulever des questions quant à sa proximité avec le régime en place, les activités internationales du groupe sont elles aussi concernées. La branche de services aux entreprises – Orange Business Services – possède en effet au Caire l’un de ses trois centres régionaux principaux, « gérant environ 150 sociétés multinationales, d’origine locale ou internationale, ainsi qu’une cinquantaine de compagnies aériennes », expliquait le groupe en 2007. Rappelons que dans la corbeille d’Equant, racheté en 2000, France Télécom avait trouvé le contrat Sita, la fondation formée entre d’importantes compagnies aériennes au niveau mondial à l’origine d’Equant. « En terme d’infrastructures réseau, l’Egypte est devenu le point d’ancrage majeur du groupe en Afrique, suite à l’instabilité en Côte d’Ivoire qui a poussé la société à se replier sur ce pays à partir de 2002 », explique Sébastien Crozier. Une zone névralgique pour les réseaux et un centre important pour traiter les appels en anglais émanant des entreprises (environ 1 000 positions).

 

Contrairement à la situation tunisienne – avec des centres gérant les appels grand public – rerouter ces flux apparaît cette fois moins aisé, d’abord parce qu’ils concernent des contrats spécifiques et ensuite parce qu’ils sont en anglais. Dans un courrier à Vivek Badrinah, directeur exécutif d’Orange Business Services, la CFE-CGC Unsa de France Telecom demande à ce dernier de « prendre toutes les mesures visant à garantir [les] conditions de sécurité [de ses salariés égyptiens] dans l’exécution de leur mission » et s’inquiète « de la très grande difficulté à laquelle sont confrontés nos 1200 collègues des centres d’appels dédiés au marché entreprises pour répondre à nos clients. » Et de regretter que « le personnel n’a ni été informé, ni associé, ni sollicité pour essayer de reconstruire dans l’urgence un service client en anglais sur le territoire français. »

Si Orange est un des premiers employeurs privés d’Egypte, d’autres acteurs de l’IT ont eux aussi été séduits par les sirènes égyptiennes. Ces dernières années, le gouvernement local avait en effet multiplié les efforts pour tenter d’attirer les investissements étrangers : incitations fiscales, création de zones franches, de pépinières (les Smart Villages, dont un tout proche du Caire regroupe le gotha de l’IT international) et même l’embauche d’un cabinet de conseil en communication international pour promouvoir l’image du pays (l’agence Fleishman-Hillard). Une danse du ventre qui a séduit les cabinets d’analyse : dans leur classement des destinations offshore, les plus prestigieux d’entre eux identifiaient l’Egypte comme un des pays montant. Dans son classement en 2009, AT Kearney gratifiait par exemple le pays d’une des plus belle progression : l’Egypte était classée 6ème (avec 7 rangs gagnés) et premier pays d’Afrique et du Moyen-Orient. Manifestement, les guides de voyage des grands cabinets à l’intention des dirigeants férus de délocalisations méritent une sérieuse mise à jour…

Alcatel demande à ses salariés de rester chez eux


Parmi les sociétés touchées, signalons le cas d’IBM. Big Blue possède un centre de BPO d’environ 500 personnes sur place et a ouvert un nouveau centre au Caire en 2009, devant employer 1 500 personnes sous 3 ans. Selon une porte-parole d’IBM France, l’instabilité actuelle du pays n’a pour l’heure aucune conséquence sur l’activité de ces centres.

Installée elle aussi dans Smart Village Cairo, à quelques dizaines de kilomètres du centre ville du Caire, la SSII indienne Satyam était vendredi matin injoignable. Ledit Smart Village est pourtant desservi par fibre optique. Parmi les voisins de la SSII, on compte notamment HP, Intel, Microsoft, Oracle (support technique applicatif, 400 ingénieurs), SAP, Huawei, HSBC, Cisco, Xceed, ou encore Alcatel-Lucent. Chez ce dernier, un porte-parole nous a indiqué que les communications terrestres avec le site de Smart Village sont encore actives, mais que la plupart des 600 collaborateurs locaux sont injoignables. Dès hier, l’équipementier avait anticipé et demandé à ceux-ci de ne pas venir au bureau aujourd’hui mais de rester en lieu sûr. De son côté, la SSII Wipro, également présente dans le pays, précise disposer de solutions de reroutage de secours pour assurer la continuité de service et affirme prendre « toutes les mesures nécessaires pour assurer la protection des employés sur site. »

Au total, le Smart Village du Caire emploie 22 000 personnes. Selon AT Kearney toujours, l’offshore égyptien devait dépasser la barre du 1 Md$ de revenus en 2010, contre 250 M$ en 2005.

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