Dans une tribune parue sur le blog spécialisé Cloud Guru, Gilles Knoery, le directeur général de Digora, spécialiste de la gestion des données en environnement Oracle, souligne les paradoxes du Cloud. Nous publions ici in extenso sa tribune suivie d’une interview.

« Le Cloud va devenir le passage obligé de toute stratégie IT. Le mouvement est déjà largement engagé, les multiples études le montrent. Les éditeurs de logiciels mettent en avant leurs offres Cloud et six DSI français sur dix vont augmenter leurs investissements dans ce domaine en 2015, selon le dernier sondage IT Focus. Le taux de croissance du marché français du Cloud atteindra, d’après la société d’étude IDC, 24 % par an en moyenne à l’horizon 2018, contre moins de 1 % pour le marché global des technologies de l’information.

Une multitude d’acteurs avec des objectifs différents

Si le marché est prometteur, il souffre de trois handicaps majeurs. D’abord, comme tout segment relativement nouveau, il se caractérise par une maturité encore insuffisante de l’offre. Ensuite, il manque de visibilité, avec la coexistence d’acteurs historiques de l’hébergement (différent du Cloud, dont la spécificité est la mutualisation des ressources), de géants mondiaux et d’une myriade d’acteurs plus ou moins spécialisés, par pays, par métier ou par plateforme. Enfin, et c’est peut-être le plus étonnant, le marché du Cloud reste peu adapté aux applications stratégiques d’entreprise. Celles-ci doivent, en effet, être associées à des engagements de services (SLA – Service Level Agreement) que même les grands acteurs américains du Cloud ne proposent pas, sans parler de leurs lourdeurs contractuelles et de la difficulté d’accéder au support technique.

Du fait de la multiplicité des acteurs, de toutes tailles, et des offres qui gagneraient à être plus lisibles, le paysage du Cloud est donc complexe à appréhender par les DSI. Ceux-ci éprouvent, d’ailleurs, certaines réticences à franchir le pas vers le Cloud pour leurs applications stratégiques. Les initiatives se cantonnent, pour l’instant, à des « proof of concept », des tests, quelques développements en pré-production ou des déclarations d’intention.

La création d’une nouvelle génération d’opérateurs de services

Il faut pourtant résoudre un paradoxe : d’un côté, les entreprises sont incitées à se tourner vers le Cloud pour gagner en agilité et réduire leurs coûts ; de l’autre, il est vital pour elles de conserver la maîtrise de leurs données, notamment leurs lieux de stockage et de traitement.

Par rapport à des besoins basiques comme la messagerie ou le simple stockage de fichiers non sensibles, ce paradoxe s’avère beaucoup plus difficile à résoudre pour les applications structurantes, en particulier les ERP ou les bases de données. La transformation des architectures qui supportent les ERP pour les mutualiser dans le Cloud constitue en effet un énorme challenge pour les DSI. Pour ces actifs stratégiques, la sensibilité des données est maximale, garantir leur étanchéité est indispensable, et l’opportunité de réduction de coûts avec le Cloud, en passant d’un modèle d’investissement (Capex) à un modèle de coûts variables (Opex) est, elle aussi, maximale.

Est-il possible de concilier ces deux objectifs afin de faire cohabiter les architectures IT en interne et dans le Cloud ? Oui et il faut, pour cela, une solution, de type privée ou hybride, qui combine quatre atouts : des engagements de services clairs, une souplesse dans la relation client-fournisseur de manière à s’adapter aux transformations du parc applicatif et des business modèles, une clarté contractuelle, et un traitement des données en France, critère déterminant pour la plupart des entreprises. Dès lors que l’on touche au cœur du système d’information, une telle solution ne peut se concevoir qu’avec des acteurs locaux, proches de leurs clients… qui facturent en euros et pas en dollars ! »

Gilles Knoery, Directeur Général et co-fondateur de Digora, entreprise de services numériques d’une centaine de collaborateurs spécialisée dans la gestion des données. Digora a réalisé plus de 15 M€ de chiffre d’affaires en 2014.

En complément, Digora publie un guide intitulé « De l’infogérance de solutions complexes à la valorisation des données ».

 

Interview de Gilles Knoery

Channelnews : Pourquoi cette prise de parole sur le Cloud ?

Gilles Knoery : Digora est connu pour son expertise dans les bases de données mais on s’aperçoit que le Cloud et les services managés sont devenus prépondérants dans notre stratégie et notre évolution. Aujourd’hui, Digora gère plus de 1.000 environnements pour 250 clients. Pour 150 d’entre eux, il s’agit d’environnements critiques. Par exemple, on peut prendre en charge la gestion complète de leur ERP. Cette tribune s’inscrit dans notre stratégie de communication et d’action au quotidien visant à positionner Digora comme un interlocuteur sur l’externalisation de l’IT des entreprises.

Vous soulignez pourtant que le marché du Cloud reste peu adapté aux applications stratégiques d’entreprise. Vous pointez notamment l’incapacité des grands acteurs américains du Cloud à proposer des engagements de services et leurs lourdeurs contractuelles. Pouvez-vous préciser votre pensée ?

Gilles Knoery : Qui dit Cloud, dit mutualisation. Or, pour prendre un domaine que nous connaissons bien, mutualiser une base de données Oracle reste compliqué, que ce soit techniquement, juridiquement et commercialement parlant. Techniquement, seule la v12c permet de faire tourner des bases de données de manière étanche sur un même socle. Mais le mouvement d’adoption est très lent chez les ISV. Même problématique pour les machines Exadata, qui ne sont pas conçues pour la mutualisation, hormis la toute dernière version, la X5. Juridiquement, il n’y a pas un mot sur la virtualisation dans les contrats de licence Oracle. Contractuellement, les environnements virtualisés de type VMware ne sont pas pris en compte dans le calcul de licence faisant courir un risque mortel aux entreprises qui se risquent à utiliser d’autres couches de virtualisation que celle d’Oracle. C’est ce qui empêche des acteurs comme Cloudwatt de décoller : faute de pouvoir déposer les outils Oracle sur leur plateforme, les entreprises se gardent bien de leur confier leurs environnements de production. Quant au Cloud public d’Oracle, il ne propose pas d’engagement de services et suppose, là aussi, de migrer vers les dernières versions de sa base de données. La solution passera à mon avis par l’hybridation. Les clients conserverons les parties les plus critiques et les moins évolutives de leurs environnement sur leurs infrastructures internes, qui laisse une plus grande liberté de choix dans les versions de logiciels, mais hébergeront d’autres parties, plus récentes et plus standardisées, dans les clouds publics. L’avantage de ces derniers étant la rapidité de déploiement et d’adaptation.

Pourtant, en le plaçant dans le gouffre des désillusions de son dernier « Hype cycle », le Gartner estime que le Cloud hybride est encore loin d’être prêt pour la production. Qu’en pensez-vous ?

Gilles Knoery : Je suis assez d’accord avec ça . Oui l’hybride, vanté partout et par tous, est très complexe à mettre en œuvre je n’en connaît pas qui fonctionne concrètement. D’abord, il faut pouvoir l’administrer. Oracle a bien une offre, Cloud Control, mais elle est très peu utilisée aujourd’hui et, là encore, elle ne fonctionne pas sur les clouds concurrents. Ensuite, il y a des problématiques réseau, surtout sur la partie middleware. L’hybride enfin suppose un gros travail de construction que tous les clients ne peuvent pas se permettre d’engager. En définitive, l’hybride introduit une complexité supplémentaire qui vient abolir – c’est un autre paradoxe – les gains attendus du Cloud.

Qu’en est-il du modèle de licence hébergeur que vous appelez de vos vœux depuis plusieurs années ?

Gilles Knoery : Sur ce point, un cadre juridique se précise. On vient de signer un contrat dit de « propriatory hosting » qui va nous permettre d’embarquer des licences avec notre offre de services. Par exemple, pour un plan de reprise d’activité, il ne sera plus nécessaire d’arriver avec ses licences ou d’acheter des licences ad hoc. Il sera possible d’en souscrire en mode Opex. En ce sens, on peut parler de mutualisation de licence. On espère signer nos premières affaires avant la fin de l’année.

Prévoyez-vous de faire de la croissance sur l’exercice en cours ?

Gilles Knoery : On l’espère, bien-sûr. mais c’est très difficile à prévoir. Une partie importante de l’activité de Digora reste orientée négoce d’infrastructures. Spécialisée Oracle, cette activité a des résultats très variables selon les exercices. Pour l’instant, elle enregistre une progression de 200% par rapport à 2014, ce qui nous rend optimistes pour l’année.