Le déploiement de Chorus, le projet de comptabilité publique reposant sur SAP, se poursuit sous l’œil mi-agacé, mi-résigné de la Cour des comptes. Ses auditeurs ont de nouveau dénoncé les carences dans le pilotage du projet.

 

« Les recommandations déjà formulées par la Cour n’ont guère été suivies d’effet ». Les années passent et Chorus, le progiciel comptable de l’Etat sur base SAP en cours de déploiement dans les ministères, est toujours vilipendé dans le rapport annuel de la Cour des comptes, visiblement marrie de voir que ses recommandations ne sont jamais suivies. L’autorité de contrôle de la gestion comptable de l’Etat revient dans son opus 2011 sur les difficultés dans la réalisation du projet. Chorus est déployé de manière progressive dans l’administration depuis 2008 et la dernière vague de déploiement est censé être à l’œuvre depuis quelques semaines pour la gestion « budgétaire » de la dépense, c’est-à-dire essentiellement le suivi des engagements de l’Etat et des paiements. Au final, la comptabilité générale de l’Etat ne sera tenue dans Chorus au mieux qu’à partir du 1er janvier 2012.

 

Et encore ce calendrier est loin d’être figé. La Cour des comptes constate ainsi cette année «qu’après avoir élargi son examen à l’ensemble de la gestion du projet, elle a été amenée à préconiser des changements profonds dans la conduite du projet et l’évolution de l’organisation budgétaire et comptable qui doit accompagner le nouveau système d’information. » Elle-même utilisatrice des systèmes de comptabilité de l’Etat en tant qu’auditeur des comptes, la Cour affichait en mai dernier ses réserves sur « les caractéristiques des systèmes d’information financière et comptable de l’Etat » qui limiteraient ses vérifications. L’institution de la rue de Cambon estimait également que « de nombreuses incertitudes demeurent quant à la capacité des nouveaux systèmes à résoudre les difficultés » rencontrées dans la tenue de la comptabilité publique.

 

Dysfonctionnements graves dans la gestion des paiements de l’Etat

 

Les derniers mois de l’exercice n’ont pas rassuré les auditeurs particulièrement sévères au moment de boucler leur rapport :

 

« L’analyse de la Cour intervient alors que le déploiement de Chorus s’effectue dans des conditions difficiles. Des retards de paiement d’un montant total de 6 Md€ sont intervenus, lors de la « bascule » dans Chorus, début 2010, de la gestion de certains programmes des ministères de l’Education Nationale, de la Justice et de la totalité des programmes du Ministère de la Défense. Ils n’ont pu être résorbés qu’en mobilisant des moyens importants et en recourant à des procédures de paiement dérogatoires qui compliquent le pilotage de la gestion et la tenue de la comptabilité. »

 

Une situation jugée très durement par le Cour qui dénonce des déficiences dans l’opération de bascule des anciens systèmes dans Chorus, notamment en matière de formation, l’appropriation du nouveau système par les utilisateurs nécessitant un apprentissage de plusieurs mois. Conséquence : ces retards ont provoqué des difficultés de trésorerie pour les entreprises concernées. Au début du mois de décembre 2010 le nombre de demandes de paiement en attente de validation par le comptable public en fin de journée pour l’ensemble des ministères s’élevait à plus de 80 000, représentant un montant cumulé de plus d’un milliard d’euros…

 

Loin de simplifier et de faciliter la tâche des services – l’une des raisons initiale du choix d’une approche progicielle – Chorus s’avèrerait donc très couteux et chronophage au-delà du raisonnable. Et ce alors que l’Etat est officiellement en période de restriction budgétaire et a institué la règle du non remplacement d’un départ de fonctionnaire sur deux.

 

Chorus pourrait au final ne pas atteindre son objectif d’amélioration de la gestion publique

 

La Cour estime ainsi que « Les perspectives d’amélioration de la gestion publique résultant de Chorus tardent à se dessiner, la complexité des nouvelles procédures l’emportant encore largement sur les gains d’efficacité et d’efficience promis. Un risque élevé existe que l’objectif d’améliorer la gestion publique ne soit pas atteint lorsque Chorus sera entièrement déployé. »

 

Et d’afficher ses craintes : « en octobre 2010, plus de 30 000 personnes ont d’ores et déjà accès à Chorus et/ou aux formulaires. Ils seront près de 50 000 d’ici 2012 sans que l’organisation ait été stabilisée.

 

Relativement aimables avec SAP – dont ils reconnaissent que nombre d’entreprises tirent profit en terme de gestion comptable (*) -, les auditeurs dénoncent en revanche « des carences stratégiques notables dans la conduite du projet et dans les choix d’organisation qui doivent l’accompagner ». Selon la Cour des comptes, les enjeux clés concernent l’organisation, mais aussi le pilotage global du système d’information financière de l’Etat, l’évolution du réseau comptable et la redéfinition des fonctions de l’ordonnateur.

 

En conclusion la Cour des comptes formule ses recommandations aux services de l’Etat en charge de Chorus sous l’égide du ministère du budget.

– Clarifier la gouvernance du projet et l’articuler davantage avec celle des autres grands projets structurants (Copernic, ONP, systèmes d’information logistiques) ;

– faire des restitutions aux ordonnateurs un chantier prioritaire, pour redéfinir les outils de pilotage et de contrôle ;

– refondre le règlement général sur la comptabilité publique (l’organisation dont le changement n’a pas accompagné le projet purement applicatif) ;

– ramener, dans une première étape, le nombre de comptes de gestion à une quarantaine ;

– tenir une comptabilité des engagements qui soit auditable ;

– développer les comptabilités auxiliaires et fiabiliser les données « basculées » dans Chorus, dans le but d’exploiter au maximum les possibilités offertes par le progiciel de gestion intégrée et pour en optimiser le retour sur investissement ;

– faire du développement d’une véritable comptabilité analytique à l’échelle de l’Etat une priorité de la révision générale des politiques publiques.

 

Appelé à réagir par écrit le Ministère s’est fendu d’un courrier joint au rapport dans lequel il réfute la plupart des points soulevés par la Cour des comptes, l’appelant en substance à plus de solidarité administrative et à faire preuve d’un état d’esprit plus positif vis-à-vis de Chorus…

 

(*) La cour des comptes estime que 40 000 agents travaillent ainsi à la tenue des comptabilités budgétaire et patrimoniale de l’Etat, là où un grand groupe industriel ou une grande banque utiliserait un nombre très sensiblement inférieur de collaborateurs.

 

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