Depuis le début de l’année, c’est l’euphorie sur le marché des fusions-acquisitions du secteur des logiciels et des services informatiques. Le marché reste en effet particulièrement dynamique en nombre d’opérations : nous en avons recensé une cinquantaine (voir notre tableau) depuis le début de l’année – et la liste n’est pas exhaustive – sachant que le cabinet de conseil en Fusac AP Management, qui édite un baromètre annuel des fusions-acquisition IT, en a recensé 137 pour toute l’année 2015 – un nombre proche du record de 146 en 2014.

Mais le marché s’emballe carrément si l’on considère le volume de chiffre d’affaires acquis. En cumulant les chiffres d’affaires des cinquante principales opérations que nous avons recensées, on dépasse déjà les 2,5 milliards de chiffre d’affaires à la mi-2016, soit plus que les 2,1 milliards cumulés pour toute l’année 2015 (source AP Management).

Cet emballement des volumes de chiffre d’affaires s’explique principalement par le retour des grands deals. Ainsi, à eux seuls, les rachats de GFI, d’Ausy et de Cegid représentent plus de 1,4 milliard de volume d’affaires. Des opérations qui font écho aux méga-deals de 2014, lorsque Sopra avait avalé Steria et Atos avait absorbé Bull. « Nous sommes au-delà du phénomène de consolidation traditionnel », analyse Pierre-Yves Dargaud, président d’AP Management, qui préfère parler de mouvement de concentration pour caractériser ces opérations impliquant des acteurs du top 10 ou 20. Il rappelle à ce propos que la France est un pays singulier comparé aux autres économies développées, avec un top 20 qui ne pèse que 45% de l’ensemble du marché quand il atteint généralement 70% à 75% dans les autres pays.

Cette excellente tenue du marché est bien évidemment portée le cycle haussier des valorisations. Jonathan Journo, directeur des fusions-acquisitions IT services de la Financière Cambon, un des principaux intervenants sur le marché français des fusions-acquisitions dans le domaine de l’IT, revendique depuis le début de l’année plusieurs opérations conclues sur la base d’un prix supérieur à 8 fois le résultat d’exploitation de la cible quand les transactions se négociaient plutôt sur la base de 5 fois le résultat d’exploitation sur la période 2008-2012. Ce bon niveau de valorisation se combine à une fiscalité attractive.

Autre facteur d’accélération du marché : l’appétit grandissant des fonds d’investissements comme l’illustrent les acquisitions de Cegid par Silver Lake et AltaOne Capital, d’Adista par Equistone Partners Europe ou de DCI par Naxicap Partners (voir tableau). Des fonds qui s’étaient jusque-là tenus à l’écart du marché IT, comme le relève Pierre-Yves Dargaud. Traditionnellement, les fonds pesaient rarement plus de 10 à 15% des transactions plafonnant à 200-300 M€ de volume de chiffre d’affaires acquis. Or, en 2015, ils ont pesé 800 M€ (soit 38% du volume total) et ils cumulent déjà 700 M€ à la mi-2016.

Cette montée en puissance des fonds d’investissements s’explique par leur meilleure connaissance d’un secteur qui se distingue par son attractivité : l’IT affiche en effet une croissance consistante, de bonnes rentabilités et reste très atomisé, laissant des perspectives de consolidation importantes, note en substance Pierre-Yves Dargaud. Les fonds regorgent de cash, dopés par la multiplication des sources de financement et le faible coût du crédit, et sont prêts à faire le match avec les industriels en ajoutant les primes stratégiques que ces derniers sont prêts à payer pour emporter une affaire, estime pour sa part Jonathan Journo.

De leur côté, les grands acteurs généralistes sont à la manœuvre non plus pour atteindre la taille critique, mais pour compléter l’éventail de leurs expertises sectorielles métier et technologique, devenues déterminantes pour pénétrer dans les grands comptes, poursuit Jonathan Journo, qui parle de prime à la spécialisation.

Dernière tendance mise en exergue par Pierre-Yves Dargaud : le retour des étrangers. Il cite notamment les acquisitions de GFI, Cegid, Alcyane, Enablon et Diademys, respectivement par le Qatari Mannai, les étasuniens Silver Lake et AltaOne, le canadien CGI, le hollandais Wolters Kluwer et le britannique Claranet.

Attention toutefois, cette euphorie pourrait ne pas durer, prévient Jonathan Journo, qui note que les cycles à la hausse, comme à la baisse, durent en général cinq ans. Le cycle haut actuel, qui a succédé au cycle bas de la période 2008-2012, pourrait donc s’achever en 2017, après l’année d’apogée actuellement en cours.