« Jamais l’Etat n’aurait soutenu la création d’un facebook ou d’un twitter ! », me confie, dépité, un entrepreneur qui vient de se voir refuser un financement grand emprunt après avoir consacré plusieurs centaines d’heures à en élaborer le dossier… Le Web et le logiciel sont en effet très généralement considérés par l’administration comme incompatibles avec la notion d’« aléas techniques » qui conditionne l’octroi des aides publiques R&D, improprement appelées « aides publiques à l’innovation ».

« Le rôle de l’état n’est pas de financer de l’innovation fondée sur de l’ergonomie ou du marketing mais de la R&D, rien de choquant à cela », m’oppose un haut fonctionnaire chargé d’évaluer notre système d’aide. Est-il besoin de l’évaluer ? Enrichi du considérable volet numérique du grand emprunt, il est l’un des mieux dotés dans le monde. Mais fragmenté, opaque, coûteux à instruire et récemment raboté (JEI), tout le monde en convient, ce dispositif se révèle, hélas, peu à même de soutenir les pépites du secteur qui a révolutionné nos vies depuis vingt ans : le numérique.

Les économies de rente bousculées par l’innovation


Une situation d’autant plus regrettable que le secteur du capital risque perd de l’argent en France et s’est amoindri au profit du capital développement, conférant alors à la caisse des dépôts un rôle contracyclique devenu crucial pour les PME. En dépit d’initiatives gouvernementales louables depuis 2007 (Loi TEPA, avantage Madelin, FSN-PME), l’épargne des français reste aussi très majoritairement orientée vers les rentes que procurent l’immobilier ou l’assurance vie…

Côté ressources humaines, ces PME innovantes rencontrent des difficultés croissantes à trouver les compétences requises, faute de formations suffisantes et du fait d’une politique migratoire (circulaire guéant du 31 mai) à bien des égards anti-économique. Beaucoup de pépites ont donc fait le choix de s’expatrier ou d’externaliser tout ou partie de leurs développements…

Enfin, bon nombre de nos success stories du Web (Meetic, Priceminister) ou du logiciel (Business Objects, Ilog) passent régulièrement sous bannière étrangère sans que l’état ne sourcille. Dans d’autres domaines du numérique, où l’on dispose de champions historiques (telcos, audiovisuel), ces derniers semblent plutôt subir les révolutions en cours que les susciter ou les accompagner en générant des écosystèmes vertueux dans leur sillage.

D’autant que l’état régulateur tend plutôt à prendre fait et cause pour les économies de rente de ces historiques que pour les business models de rupture, qui ont le désavantage de venir de l’Ouest… Cloud computing, internet mobile, télévision connectée sont déjà en train de changer nos usages, malgré les lignes Maginot que nous dressons et qui empêchent finalement surtout la naissance d’un écosystème innovant. Réconcilier l’état et l’innovation, tout un programme, donc !

Loïc Rivière est délégué général de l’AFDEL (l’Association des éditeurs de logiciels) et directeur de la rédaction des Cahiers du numérique, dont est tirée cette tribune.