Donnée incontournable d’un projet, le retour sur investissement est sans doute l’une des mesures les plus scrutées à l’heure des arbitrages. Mais son calcul est-il infaillible ? Quelles sont ses limites ? L’approche classique du ROI ne conduit-elle pas à prendre des décisions de court terme, au risque de freiner l’innovation ? Et au-delà de la dimension purement monétaire, les gains d’un projet ne prennent-ils pas d’autres formes qui valent elles aussi d’être considérées ? Eléments de réponse.

 

Qu’est-ce que le retour sur investissement d’un projet ?

 

Le ROI d’un projet est le ratio qui vise à estimer le pourcentage de gain à attendre d’un investissement par rapport à la mise de départ, coût d’achat et frais connexes inclus. Le bénéfice s’exprime sous forme d’une augmentation du résultat de l’entreprise (hausse du chiffre d’affaires ou diminution des coûts) ou à travers un surcroît de marge sur une période de référence, généralement une année. Critère ô combien phare dans l’entreprise, il est souvent la mesure finale sur laquelle les décideurs s’appuient pour arbitrer leurs choix d’investissements.

 

Pour déterminer ce ROI, il faut commencer par catégoriser l’investissement, afin de préciser son type (informatique, production, bâtiment …), sa raison d’être (innover, remplacer un outil existant, améliorer) et son impact sur l’entreprise. Une fois cette classification faite, les flux financiers peuvent être établis pour estimer le fameux ratio. Le résultat obtenu, inséré dans une grille d’analyse, servira ensuite à comparer les investissements en portefeuille et à vérifier leur conformité aux attentes.

Dans ce process, entre également en jeu le critère clé de la dimension temporelle. Autrement dit, combien de temps devra s’écouler avant que l’investissement ne devienne rentable. Face à une direction générale ou une direction financière pressée de générer des bénéfices, les temps de retour sur projet les plus longs, supérieurs à trois ans, étant les plus difficiles à défendre. En période de ressources budgétaires limitées, l’entreprise cherchera en effet à favoriser des investissements en mesure de générer des rentabilités rapides et privilégiera les ROI élevés pour maximiser l’utilisation de ses fonds.

 

Un ratio intéressant mais …

 

On attend donc souvent du projet qu’il soit une source de profits au sens purement comptable. Avec le risque, à l’aune d’une estimation classique du ROI, de passer en partie à côté du sujet. Y compris quand l’analyse est menée sous l’angle financier. Trois points, par exemple, sont parfois sous-estimés, quand ils ne passent pas franchement en dessous des écrans radars :

-Le coût des perturbations pour l’entreprise : il s’agit ici de déterminer la charge de travail pour les équipes affectées à la mise en œuvre du projet et la traduction en temps que lesdits opérationnels ne pourront plus consacrer à leur mission principale.

 

-Le coût de l’inaction : que se passera t’il si l’investissement n’est pas réalisé ? Les méthodes de fonctionnement existantes seront-elles tenables ?

 

-L’approche systémique : un projet peut ne pas être rentable en tant que tel, mais se révéler indispensable pour réaliser d’autres projets. On peut citer le cas des projets d’infrastructure qui ne sont potentiellement rentables qu’à long terme, du fait de leur durée de mise en œuvre importante (un projet ERP requiert souvent un minimum de 18 mois).

 

 

Certains autres écueils ou certaines imprécisions financières sont également susceptibles de venir dégrader le ROI estimé. A commencer par la façon d’appréhender les gains, selon qu’ils sont réels ou théoriques, majorés ou minorés. Ainsi, un gain en jours/hommes réalisé grâce à l’implémentation d’un outil représente bien un élément de coût direct que l’on réduit. Mais le gain ne sera pas totalement au rendez-vous si les ressources concernées ne sont pas redéployées. Idem pour les gains de chiffre d’affaires attendus de nouveaux marchés qui ne doivent être ni exagérément pessimistes ni trop optimistes.

 

De la même manière, il convient de regarder les coûts globaux de l’investissement dans une vision la plus large possible. Le projet va-t-il nécessiter beaucoup de formations, le recrutement de compétences ad hoc, de nouvelles infrastructures matérielles, des frais de fonctionnement, la mise en place d’une hotline dédiée, etc.

 

Les décideurs doivent aussi s’interroger sur la facilité de mise en œuvre de la solution, sur la compatibilité du projet avec la taille de l’entreprise et ses ressources internes. S’inscrivant dans un temps plus long, ils doivent également évaluer la capacité de l’organisation à maintenir l’investissement sur plusieurs années, ou son aspect purement tactique.

 

Il leur appartient enfin de bien questionner la nature du projet : est-il bien catégorisé, son impact est-il bien estimé, peut-il être plus étendu, ou au contraire ne serait-il pas trop vaste ? Cela peut sembler basique, mais l’adoption large d’un outil et ses chances de succès peuvent dépendre de ces réponses.

 

Se poser toutes ces questions permet d’éviter que le calcul du ROI ne se résume à un exercice prometteur sur le papier mais finalement trompeur. Dans le cas contraire, l’entreprise pourrait ne se concentrer que sur des projets à retour très rapide (quick wins).

 

 

L’innovation, cette oubliée

 

Il est un autre aspect peu pris en compte dans les calculs de retour sur investissement et pourtant fondamental, c’est celui de l’innovation. Ce qu’elle apporte ou ce qu’elle coûte.

Par définition, l’innovation vise à réaliser quelque chose de nouveau, avec des résultats par conséquent non prévisibles. Les calculs de rentabilité sont donc par nature différents et doivent prendre d’autres éléments en compte :

-La capacité d’adaptation de l’organisation à de nouveaux processus

-L’environnement concurrentiel, pris dans sa globalité (capacité à acquérir et retenir des clients, à attirer des talents, à nouer des partenariats avec des fournisseurs)

-L’évolution des concurrents (par nature inconnue) susceptibles d’être eux-aussi engagés dans un processus d’innovation

-L’apparition de nouveaux marchés ou de nouveaux modes de consommation, et la volonté de l’entreprise de devancer ou de suivre ces évolutions

-La capacité des équipes à affronter des difficultés et à surmonter d’éventuels échecs, échaudées par exemple par un projet précédent.

-La capacité à dépasser le budget initial : une innovation peut nécessiter d’augmenter le volume d’investissement pour fournir sa pleine valeur.

 

 

Certains auteurs catégorisent les différents types d’innovation et s’attachent à en extraire les éléments de rentabilité. Pour d’autres, la question est plutôt celle de la capacité de l’entreprise à se remettre en cause et à adopter de nouvelles méthodes. Une chose est sûre cependant : l’innovation est souvent nécessaire si l’entreprise veut conserver sa compétitivité et ces différentes grilles d’analyse sont complémentaires.

 

L’enjeu dans ce cas réside plus dans la capacité à déterminer un budget qui permette tout à la fois de mesurer la pertinence et la viabilité de l’innovation. C’est après cette première phase que des études de retour sur investissement seront réalisées, notamment pour déterminer la pérennité du choix.

 

Pour innover et déterminer l’opportunité de l’investissement, l’entreprise devra donc utiliser des outils différents, et aller au-delà de la seule analyse de rentabilité pour se positionner à plus long terme.

 

 

 

D’autres axes de gains à intégrer

 

Enfin, au-delà des économies et des gains en chiffre d’affaires ou marge opérationnelle attendus, les bénéfices d’un projet peuvent prendre d’autres formes encore.

 

Pour l’illustrer, prenons le cas concret des outils de gestion de donnée et d’automatisation. Leur ROI mécanique et chiffrable, s’exprime, entre autres, par :

-une hausse de productivité

-une réduction en charges de personnel

-des processus métiers plus rapides

 

Selon les trois sources de gains citées ci-dessus, l’entreprise pourra, par exemple, chercher à mesurer respectivement :

 

-le nombre d’heures gagnées par an sur la saisie ou la modification des données,

-la baisse des coûts de prestations dans les centres de services partagés ou la moindre facturation interne des services informatiques (moins sollicités),

-le nombre de jours gagnés dans la comptabilisation des créances si, le projet d’automatisation porte sur le cycle « order to cash », ou encore le chiffre d’affaires supplémentaire généré grâce à une réduction du cycle de mise sur le marché d’un nouveau produit.

-La réduction de coûts liés à des non qualités comme des surfacturations de frais de transport ou des intérêts de retard facturés par des fournisseurs.

 

D’autres indicateurs sont eux-aussi à intégrer pour justifier un choix, et notamment les impacts sur la trésorerie ou la consommation de ressources pour l’entreprise (Fonds de roulement ou BFR). Ils ont toujours un impact global sur la rentabilité de l’entreprise.

Ainsi, des comptes clients créés plus rapidement, des fournisseurs payés dans les temps, ou des processus aisément analysables (qui fait quoi, que reste-t-il à faire) sont ici aussi facteurs d’une performance globale de l’entreprise. Parfois difficiles à traduire dans une rentabilité annuelle, ils lui permettent néanmoins d’affronter ses marchés avec efficacité.

 

Il s’agit bien ici de gains financiers directs. Mais, des données de bonne qualité, gérées plus rapidement et plus efficacement, permettent de mettre en œuvre des leviers de gains d’autre nature encore, non directement quantifiables. On peut citer trois exemples :

-La satisfaction et la fidélisation de collaborateurs, débarrassés de tâches rébarbatives et redéployés vers des missions à plus forte valeur ajoutée ;

-L’amélioration des relations avec les tiers (fournisseurs ou clients), livrés de manière plus fiable ou payés dans les temps

-Une meilleure réactivité de l’organisation pour répondre aux demandes du terrain et créer ou maintenir des informations (comptes clients, comptes fournisseurs, référentiels articles…). L’agilité d’une organisation est aujourd’hui un facteur clef de réussite sur les marchés, difficile à valoriser à priori.

 

 

En conclusion, prendre la décision d’investir, c’est souvent prendre la décision de changer, en agrandissant, en améliorant ou en innovant. Il est alors nécessaire d’intégrer ces autres axes de gains dans la liste des attendus d’un projet. Parce qu’ils vont assurément apporter à l’entreprise, à défaut de pouvoir calculer précisément et avec certitude ce qu’ils vont rapporter. L’approche purement comptable a pour inconvénient de cacher la part parfois la plus importante des bénéfices d’un investissement.

Pour trancher, les décideurs doivent bien sûr pouvoir s’appuyer sur des éléments factuels, mais ils doivent aussi définir leurs indicateurs en fonction d’un ensemble bien plus large d’objectifs. Lesquels, s’ils ne permettent pas de détrôner le ROI, peuvent légitimement lui contester son caractère absolu.

 

Par David Coerchon chez Winshuttle France